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14 mars 2013 4 14 /03 /mars /2013 10:54

« Pendant que j'étais très jeune, on m'a occupé à garder les plus jeunes. Plus tard, on m'a habitué aux travaux de la campagne, ce qui m'a été d'un grand avantage car, par la suite et sans peine, je pouvais faire n'importe quel travail ; par là j'ai de bonne heure pris l'habitude, l'intérêt et l'attachement au travail, de manière que je me trouvais très heureux, bonne santé et pas d'ambition.

Voilà ce que, chaque jour, père et mère devraient laisser en héritage à leurs enfants : Amour de Dieu et du travail. Aujourd'hui, nous élevons de petits monsieurs de campagne ! A peine si nous osons les faire travailler. Aussi plus tard, ils se figurent d'être exempts de travail. Ils n'osent ni se courber ni se salir, ils se figurent d'être dans ce monde uniquement pour boire, manger et se pavaner. Voilà en partie notre jeunesse ! Sont-ils plus robustes pour cela ? Non, au contraire ! Les maladies les accablent, maux de dents, maux de tête, maux de toutes espèces. Voilà le partage du paresseux ! ….

 Pendant l'hiver 1858-1859, j'ai fait l'école au village de La Combaz (sur le territoire de Valmeinier en Maurienne, au sud de cette commune, à 1617 mètres d'altitude) chez Joseph Albrieux. J'ai gagné pendant cet hiver 15 quartes de seigle (la quarte dont il est question vaut environ 23 litres) pour quatre mois, ce qui pouvait me faire environ 0,20 à 0,23 franc par jour, car j'ai remis ce seigle à Benoîte Troccaz pour intérêts en retard ; elle me l'a estimé à 28 francs. Cependant, malgré ce salaire, je commençais l'école à la pointe du jour, après avoir fait le voyage des Combes (autre hameau de Valmeinier au nord de la commune, à 1327 mètres d'altitude) à La Combaz. A midi, j'allais manger un morceau à la Ville-Dessus (qui correspond à l'actuel chef-lieu à 1500 mètres d'altitude), pour continuer ma classe jusqu'à la nuit close, et me rendre ensuite jusqu'aux Combes. Il fallait continuer ainsi toute la semaine, vu qu'en cette époque il n'y avait pas de jeudis pour les instituteurs. Ma classe était passablement nombreuse : 20 à 25 élèves ; et installée dans une écurie. Et malgré cela, je me trouvais encore heureux : bonne santé, bon courage, content de faire l'école sans m'inquiéter du peu que je gagnais, heureux dans mon indigence, vu que j'étais obligé d'emprunter une montre pour être à l'heure pour ma classe. Nos jeunes gens de ce temps (du temps où il écrit c'est à dire vers 1900) auront peine à croire qu'un jeune homme de cet âge puisse se résigner à ce genre de vie, eux qui prétendraient mener une vie de rentier sans se soucier de leur avenir qui ne pourra pas manquer d'être malheureux. A chacun ce qu'il mérite ».

Le texte ci-dessus a été écrit par Isaïe-Marcellin Thomasset né le 28 septembre 1838, troisième enfant d'une famille de onze, à Valmeinier, village de Maurienne en Savoie et décédé le 19 juin 1903. Il fut paysan, soldat et maître d'école savoyard. Il commença à écrire le journal de sa vie le 15 février 1900 sur un cahier d'écolier qui fut retrouvé et publié dans la série « Carnets de Vie » par La Fontaine de Siloé en mai 2005.

Le jugement qu'il porte sur la jeunesse de son temps n'est pas très positif, mais les jeunes des années 1900 ont eu, sur les générations suivantes, probablement le même jugement que celui qu'Isaïe-Marcellin Thomasset porta sur eux. Alors la critique de la jeunesse est-elle une fatalité, une habitude ou bien y a-t-il en fonction des circonstances économiques et sociales des contextes particuliers qui forment des jeunesses particulières ? Et peut-on mettre toute une génération dans le même panier ?
A chacun de répondre. Mais les jeunes qu'il critique c'est la génération de mes grands-parents, et je suis né en 1939. Curieuse réflexion quand même !

J.D. 14 mars 2013

 

  La liste des notes de ce blog, récapitulées par thème, se trouve à la fiche N° 76 et la liste des illustrations sur la fiche N°219

motif à Turin (Torino) via Cernaia, photo J.D. 6 juin 2015

motif à Turin (Torino) via Cernaia, photo J.D. 6 juin 2015

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