Le 10 septembre 1926 (douzième anniversaire de la première bataille de la Marne qui se déroula du 6 au 12 septembre 1914), une délégation allemande conduite par Gustav Stresemann, ministre des Affaires étrangères de la République de Weimar, faisait une entrée triomphale dans la salle des séances de la Société Des Nations (S.D.N.) à Genève.
Voilà ce que décrit Georges Suarez dans « Briand » tome VI (édité en 1952) chapitre II :
« Les délégués allemands reçurent, en débarquant à Genève, un accueil indescriptible. Il faut se replacer dans l'atmosphère de cette époque, où seules étaient visibles les apparences créées et exploitées par les traités de Locarno....(voir la fiche N°187 )
Une foule immense avait envahi les voies d'accès , les tribunes, les couloirs de la S.D.N. Dans la salle, les délégués debout acclamaient les représentants de l'Allemagne...
Le président donna la parole à Stresemann qui, aux applaudissements frénétiques de l'assistance, monta à la tribune et prononça un fort beau discours.... ».
Ce fut Aristide Briand qui répondit au discours de Stresemann. Voici des extraits du discours de Briand :
« N'est-ce-pas un spectacle émouvant, particulièrement édifiant et réconfortant, que, quelques années à peine après la plus effroyable guerre qui ait jamais bouleversé le monde, alors que les champs de bataille sont encore presque humides de sang, les peuples, les mêmes peuples qui se sont heurtés si rudement se rencontrent dans cette Assemblée pacifique et s'affirment mutuellement leur volonté commune de collaborer à l’œuvre de paix universelle ?
Quelle espérance pour les peuples ! Et comme je connais des mères qui, après cette journée, reposeront leurs yeux sur leurs enfants sans sentir leur cœur se serrer d'angoisse !
Messieurs, la paix, pour l'Allemagne et pour la France, cela veut dire : c'en est fini de la série des rencontres douloureuses et sanglantes dont toutes les pages de l'histoire sont tachées ; c'en est fini des longs voiles de deuil sur des souffrances qui ne s'apaiseront jamais ; plus de guerres, plus de solutions brutales et sanglantes à nos différents ! Certes, ils n'ont pas disparu, mais, désormais, c'est le juge qui dira le droit. Comme les individus qui s'en vont régler leurs difficultés devant le magistrat, nous aussi, nous réglerons les nôtres par des procédures pacifiques.
Arrière les fusils, les mitrailleuses les canons ! Place à la conciliation, à l'arbitrage, à la paix ! »
La dernière phrase, qui fut célèbre à l'époque, déchaîna à l'assemblée de la S.D.N. à Genève une véritable tempête d'applaudissements. Suarez reproduit le commentaire qu'en fit une biographe de l'époque : Mme Antonino Vallentin :
« Les bras de l'homme s'étaient levés, une vision d'Apocalypse semblait passer devant ses yeux. Le public haletait, les mains s'agrippaient au parapet des tribunes, des larmes coulaient sur de durs visages ».
Interrompu par les applaudissements, Briand reprit un très long discours dont voici de nouveaux extraits :
« Il faut bien le dire, si l'Europe retrouve son équilibre économique, son équilibre moral, si les peuples ont conscience qu'ils sont en sécurité, ils pourront secouer de leurs épaules les lourds fardeaux qu'imposent les inquiétudes de la guerre ; ils pourront collaborer à l'amélioration de leur situation respective ; il se créera enfin un esprit européen....
L'Arbitrage ! Ce mot a maintenant tout son prestige et toute sa force ; les traités d'arbitrage se multiplient ; de peuple à peuple, on se promet de ne plus se battre, de recourir à des juges. La paix chemine à travers toutes ces entreprises, et c'est l'esprit de la Société des Nations qui les anime...
Avec elle, la Paix ! Sans elle, tous les risques de guerre et de sang dont les peuples n'ont que trop pâti...
Je me félicite d'avoir pu assister à cet événement. Il tiendra, j'en suis sûr, une grande place dans l'histoire. A nous de nous employer pour qu'aucune imprudence des uns ou des autres ne vienne compromettre les espérances des peuples ».
Suarez fait ce commentaire :
« Les derniers mots se perdirent dans une ovation délirante. Ce jour là, pour la première fois, se forma une véritable mystique de la S.D.N. Elle n'était pas sans grandeur ni sans sincérité. Mais elle allait donner à ce Parlement qui avait surtout besoin de raison, l'inspiration fanatique d'une nouvelle religion. Tant que Briand sera là, pour contenir les fougueux élans que son éloquence déchaînait, les dangers de ce prosélytisme seront réduits. Quand il disparaîtra, personne ne sera de taille pour les conjurer. »
Il faut tenir compte que Suarez écrit ces lignes en 1952, donc après la seconde guerre mondiale. Mais cela amène néanmoins à s'interroger sur la S.D.N. ancêtre de l'ONU. Comment en effet a-t-on pu passer d'un état d'euphorie, de coopération internationale des années 1920 (accords de Locarno, fonctionnement de la SDN, pacte Briand-Kellogg), à la catastrophe qui a suivi : arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne (c'est le 30 janvier 1933 que le Président Hindenburg appela Hitler comme Chancelier), guerre d'Espagne commencée en juillet 1936, invasion de la Chine par le Japon commencée en août 1928, conquêtes coloniales italiennes des années 30, guerre entre la Bolivie et le Paraguay en 1932, alliance Rome/Berlin en octobre 1936, annexion de l'Autriche en mars 1938, invasion de la Tchécoslovaquie en mars 1939 , pactes germano-soviétiques d'août 1939, seconde guerre mondiale... et en si peu de temps ?
Nota : à Genève, la S.D.N. s'installa d'abord dans le palais Wilson quai Wilson. C'est là que fut reçue la délégation allemande en septembre 1926. Ce fut le siège de la S.D.N. jusqu'au transfert en 1936 au Palais des Nations dans le parc de l'Ariana jusqu'à la fin de la S.D.N. en 1946.
Depuis 1998, le palais Wilson accueille le Haut Commissariat des Nations-Unies aux droits de l'homme et depuis 1966, le palais des Nations est devenu le siège européen de l'ONU avec un certain nombre d'agences spécifiques comme : l'AIEA (agence internationale de l'énergie atomique) , la FAO (agence pour l'alimentation et l'agriculture), l'UNESCO etc
La Société des Nations :
Dès le XIXe siècle, l'idée fit son chemin qu'il fallait remplacer les guerres par le droit et l'arbitrage pour régler les conflits entre Nations. Ainsi, un « Bureau international de la Paix » avait été créé à Berne en 1892 et des « conférences internationales de la paix » s'étaient tenues à La Haye de 1899 à 1907.
Cette idée fut reprise par Woodrow Wilson président des Etats-Unis le 8 janvier 1918 dans un discours devant le Congrès américain où il définissait en 14 points les conditions qui devaient être remplies pour terminer la guerre. Voici le point 14 :
« une association générale des Nations doit être constituée sous des alliances spécifiques ayant pour objet d'offrir des garanties mutuelles d'indépendance politique et d'intégrité territoriale aux petits comme aux grands Etats ».
Après l'armistice de novembre 1918, il y eut la conférence de Paris préparant le traité de Versailles.
C'est à l'hôtel Crillon à Paris que fut rédigé du 3 février au 11 avril 1919 le « pacte » de la Société des Nations. Et la création de cette Société des Nations fut intégrée dans le traité de Versailles.
La première réunion de la S.D.N. eut lieu à Londres le 10 janvier 1920. Elle ratifia le traité de Versailles. Le pacte prévoyait essentiellement deux grandes choses :
*la création d'une « cour permanente internationale de justice » qui fut effectivement créée à La Haye en 1922
*des procédures d'arbitrage pour régler les conflits.
C'est à partir du 1er novembre 1920 que la S.D.N. siégea à Genève
organisation :
*45 pays avaient adhéré à la Société des Nations à ses débuts, mais cela ne comprenait pas les Etats-Unis malgré qu'ils furent à l'origine de cette institution. Les Etats-Unis ne ratifièrent pas le traité de Versailles et le Sénat américain émit le 19 novembre 1919 un vote négatif à l'adhésion à la S.D.N.
La Russie n'adhéra que le 18 septembre 1934 pour en être exclue le 14 décembre 1939 suite à l'invasion de la Pologne. L'Allemagne fut admise en 1926, mais avec l'arrivée au pouvoir d'Hitler en 1933, l'Allemagne quittait la Société des Nations. Le Japon condamné par la S.D.N. pour l'invasion de la Chine quittait la S.D.N. en 1933 et l'Italie en 1937. Au maximum la S.D.N. compta 60 membres fin 1934, début 1935.
L'organisation de la S.D.N. comprenait (outre la Cour de La Haye):
*Une Assemblée Générale qui réunissait des représentants de tous les pays membres, avec à la tête de l'Assemblée générale un président
*Un Conseil avec des membres permanents et des non permanents. Il y eut, à l'origine, 4 membres permanents (la France, la Grande-Bretagne, l'Italie et le Japon). En 1926, l'Allemagne devint le cinquième membre permanent. Il y eut également 4 membres non permanents élus pour 3 ans (les premiers membres élus pour 3 ans furent la Grèce, la Belgique, le Brésil et l'Espagne) puis on passa à 6 membres non permanents en 1922 puis à 9 en 1926. Le Conseil se réunissait 5 fois par an.
*Il y avait enfin un secrétariat général avec un Secrétaire Général.
En outre, la S.D.N s'adjoignit un certain nombre d'agences spécialisées (un bureau central de l'opium, une commission pour les réfugiés, une commission pour l'esclavage, un comité sanitaire, l'organisation internationale du travail...).
Elle confia également à quelques pays (Royaume-uni, France, Belgique, Nouvelle-Zélande, Australie et Japon) un mandat de gestion sur des territoires, essentiellement anciens territoires de l'ex empire ottoman ou anciennes colonies allemandes.
La S.D.N. elle-même administra la Sarre jusqu'à ce qu'un référendum, en 1935, donne 90% de la population favorable au rattachement à l'Allemagne. La Sarre fut alors rendue à l'Allemagne, c'est-à-dire à l'époque au troisième Reich.
C'est lors de la conférence de Yalta (en Crimée) tenue en février 1945, que fut décidée la création de l'ONU en remplacement de la SDN. Tous les biens de la SDN furent dévolus à l'ONU et des agences de la SDN continuèrent à fonctionner dans le cadre de l'ONU.
Bilan
Si l'on veut voir le verre à moitié plein, la S.D.N permit de régler certains conflits tels :
-celui des îles Aland (entre la Suède et la Finlande)
-celui entre Albanie et Yougoslavie
-entre Autriche et Hongrie
-entre la Grèce et la Bulgarie
-entre Allemagne et Pologne (pour la Haute-Silésie)
-entre l'Irak et la Turquie
-entre la Colombie et le Pérou
etc
En outre les agences spécialisées permirent une coopération internationale dans la lutte contre l'esclavage, l'analphabétisme, la drogue, les épidémies, l'amélioration du droit du travail etc.
Si l'on préfère le verre à moitié vide, la SDN n'empêcha pas la guerre d'Espagne, l'invasion de la Chine par le Japon, le réarmement de l'Allemagne et la seconde guerre mondiale avec tout son cortège d'invasions, d'occupations et d'horreurs... Ce qui fait conclure à l'échec de la SDN par beaucoup d'auteurs.
La S.D.N prenait des résolutions, la Cour de La Haye rendait des jugements, mais il n'y avait pas de forces internationales pour faire appliquer les décisions. En outre, des pays comme les Etats-Unis n'adhérèrent pas pour ne pas être liés par les décisions de la SDN ; d'autres comme l'Allemagne, l'Italie, le Japon quittèrent la SDN quand ils voulurent avoir les mains libres ou furent exclus comme l'URSS en 1939.
Les artisans de la paix et de la coopération des années 1920 disparurent : Gustav Stresemann, l'Allemand, décédé le 3 octobre 1929, Aristide Briand le 7 mars 1932 et Frank Kellogg l'américain le 21 décembre 1937 (il avait 81 ans).
Ces personnages auraient été aux responsabilités 10 ans de plus, est-ce que cela aurait empêché la seconde guerre mondiale ? Qui peut répondre ?
Mussolini déclara à propos de la SDN : « La SDN est très efficace quand les moineaux crient, mais plus du tout quand les aigles attaquent ». Ce fut probablement le principal problème.
L'ONU a repris l'esprit et les missions de la SDN mais avec les mêmes problèmes. Il est bien évident que l'ONU ne se comporte pas avec la Chine, la Russie ou les Etats-Unis comme avec la Serbie ou l'Irak !
Dans « Les animaux malades de la peste », Jean de La Fontaine (1621/1695) tire la conclusion suivante :
« Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».
Cela était vrai dans l'Antiquité, au XVIIe siècle et cela l'est toujours !
J.D. 29 août 2014