Le 20 janvier 1791, le quotidien « Chronique de Paris » publiait un article signé Michel de Cubières et intitulé : « Observations à MM les Auteurs de la chronique de Paris, sur l'état actuel de la Savoye, relativement à la révolution de la France ».
*Michel de Cubières (1752/1820) fut poète et auteur dramatique, sans conviction politique très précise , il fit l'éloge de Voltaire en 1780, rédigea aussi bien un « poème à la gloire de Marat » (en août 1793) qu'il honora Napoléon en célébrant la paix de Lunéville et la bataille de Marengo en 1800 puis la bataille d'Austerlitz en 1806 (bataille du 2 décembre 1805).
La Chronique de Paris avait publié un article se demandant qu'elle était l'opinion des Savoyards vis-à-vis de la Révolution française en cours. Michel de Cubières qui s'était rendu en Savoie en mai 1790, envoya un article à la Chronique de Paris, relatant particulièrement un entretien qu'il avait eu avec un vicaire savoyard.
*La Chronique de Paris parut tous les jours du 24 août 1789 au 25 août 1793. Jean-Antoine de Condorcet en fut le principal rédacteur. Girondin, il n'avait pas voté la mort de Louis XVI. Il fit partie de tous les Girondins condamnés en 1793, voir la note N° 251 http://jean.delisle.over-blog.com/2015/11/les-savoyards-en-mai-1790-n-262.htlm.
Il parvint à s'enfuir, mais le 26 mars 1794, reconnu, il fut arrêté et interné à la prison de Bourg-la-Reine. Le 28, il était retrouvé mort dans sa cellule. Selon Alphonse de Lamartine dans histoire des Girondins, publiée en 1847, au chapitre XVIII du livre cinquante-sixième, il avala du poison qu'il portait toujours sur lui, pour échapper à la guillotine.
Voici le texte de l'article publié le 20 janvier 1791, en respectant l'orthographe de l'article, c'est-à-dire l'orthographe de l'époque :
« ...Le caractère général du Savoyard est la probité, la simplicité et, depuis quelque tems, une sorte de fierté , née sur-tout de la connoissance des droits de l'homme, et de cette voix intérieure et secrète qui crie à chaque peuple mal gouverné : tu n'es pas fait pour être esclave. Le roi, enfin, et toute la cour de Savoye, craignent que la Savoye ne se détache tôt ou tard de l'empire de Sardaigne, et que les Savoyards ne se donnent à la France, autant par amour des Français que par haine des Piémontois.
...les vertus du roi sont le seul lien qui attache encore le Savoyard au trône de Sardaigne, et après tout, continua-t-il avec vivacité, pourquoi seroit-on surpris d'un pareil événement ? Et pourquoi le trouveroit-on extraordinaire ? Le Piémont et la Savoye sont séparés par les Alpes éternelles, et la nature peut-elle avoir voulu que la Savoye et le Piémont appartinssent à un même souverain ? Non, non, l'ambition des princes ne sauroit réunir ce qu'a divisé la nature. La nature a voulu que le Piémont fit partie de l'Italie, et que les Alpes ont repoussé et repoussent sans cesse la Savoye dans les domaines de la France. Les Savoyards d'ailleurs, ont les mêmes mœurs, les mêmes usages, le même langage que les Français et l'habitude, et mille conformités, et mille rapports indestructibles s'unissent à la nature pour que les Français ne fassent qu'un avec les Savoyards, et pour que ces deux nations soient soumises aux mêmes loix et au même monarque.
Considérez enfin combien est cruelle, depuis la révolution Française ; la situation des Savoyards. Ils adorent les Français, je viens de le prouver sur l'heure ; et par les loix de leur gouvernement monarchique, ils sont obligés de haïr ces mêmes Français…
Ils abhorrent les Piémontois, et le gouvernement leur dit : regardez les Piémontois comme vos compatriotes, et aimez-les comme vos frères. Leur malheur va plus loin encore : ils sont forcés d'avoir des relations d'intérêts et des liaisons de tout genre avec les Piémontois ; qui ne cessent de leur reprocher leur amour pour la France, de commercer avec la France, qui se plaint souvent à eux de leurs liaisons avec les Piémontois, et pour comble d'infortune, ils ne peuvent pas se passer de ces mêmes Français, qu'ils aiment et qu'on leur ordonne de haïr. Croyez-vous qu'un état aussi violent puisse long-tems durer ? Non, Messieurs, non, la nature, l'opinion, la raison et la nécessité semblent s'être unies pour rendre la Savoye Française... ».
*Commentaires :
En 2010, pour préparer une conférence sur la réunion de la Savoie et de l'Arrondissement de Nice à la France en 1860 (voir note N°1 http://jean.delisle.over-blog.com/article-reunion-de-la-savoie-et-de-l-arrondissement-de-nice-a-la-france-en-1860) , j'avais consulté nombre de documents et, sur l'opinion des populations concernées, j'en avais tiré 2 conclusions :
-la consultation des populations en avril 1860 fut une sinistre farce : les fonctionnaires et militaires piémontais avaient quitté Savoie et Nice et ce sont des fonctionnaires français qui ont organisé la consultation et des militaires français qui étaient présents, alors qu'officiellement Savoie et Nice appartenaient encore au royaume de Sardaigne.
Dans les bureaux de vote, il n'y avait à la disposition des électeurs que des bulletins OUI et pas d'isoloirs….
-malgré cela il apparaît que pour tout un tas de raisons, géographiques, linguistiques, économiques, et même religieuses en 1860…. une majorité de la population devait préférer la réunion à la France, d'autant que le souvenir de Napoléon 1er et du grand empire était encore vivace chez les savoyards autant que chez les Niçois (ces territoires annexés par la France en 1792, avaient été rendus au royaume de Sardaigne en 1814/1815) ; et que l'unité de l'Italie n'était pas encore faite. En outre les fonctionnaires et militaires piémontais en poste en Savoie étaient considérés par la population locale comme une troupe d'occupation.
Cet article paru en 1791 dans la Chronique de Paris conforte le sentiment que les Savoyards préféraient la France.
Historiquement, voir fiche N°66 http://jean.delisle.over-blog.com/article-histoire-de-la-maison-de-savoie-59295182.html, la dynastie Savoie, partie de Maurienne, s'étendit de ce côté-ci des Alpes avant de s'implanter en Italie. Au fil des siècles, la partie italienne grandissait en même temps que la partie française se réduisait et le transfert de la capitale de Chambéry à Turin en 1562 portait en germe la scission.
On trouvera en illustration une caricature publiée dans « Le Chat » le 31 décembre 1848 (cliché bibliothèque municipale de Chambéry) qui montre le souverain de Sardaigne (Charles-Albert) qui tente de retenir une vache qui veut aller brouter en France avec cette légende : « rien à faire, la tarine, si c'en est une, n'entend pâturer que sur territoire français ».
J.D. 28 novembre 2015
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