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12 juillet 2015 7 12 /07 /juillet /2015 18:37

Petit rappel sur le célèbre Jules :

Jules César (Caius Julius Caesar) naquit à Rome le 12 juillet de l'an 102 avant notre ère ; date sujette à contestation parmi les historiens. Voir fiche N°50 http://jean.delisle.over-blog.com/article-cesar-et-les-4-julia-87170027.html

Mais le lecteur qui a envie de donner à César une autre date de naissance, ou qui tient à faire passer les éléphants d'Hannibal par la place des éléphants de Chambéry, ou faire adhérer les dits-éléphants au comité de « défense d'Yvoire » (en Haute-Savoie), c'est bien son droit !

Au moment de la naissance de Jules, c'était Marius (oncle paternel par alliance de César) qui était l'homme fort de Rome.

La famille de César appartenait à la « gens Iulia » qui prétendait descendre de Iule fils d'Enée, personnage troyen ancêtre des Romains, d'après les légendes sur la guerre de Troie.

Voici les principales étapes de la carrière de Jules César :

*Durant la jeunesse de César, la guerre sévit à Rome entre les partisans de Marius et ceux de Sylla.

*vers -81, probablement pour fuir Rome, César commença une carrière militaire en Asie et se distingue notamment en Cilicie (région au sud de l'Anatolie dans l'actuelle Turquie), ce qui lui valut une couronne civique (importante décoration militaire de l'époque)

*en -73, César est élu pontife (voir définition des fonctions romaines sur la fiche N°117 http://jean.delisle.over-blog.com/marius-césar-auguste-et-arles-n-117)

*en -68, César entre au Sénat, il est élu « questeur » et envoyé en Espagne

*en -65, il devient « édile curule » à Rome

*en -63 César est élu « grand pontife »

*en -62, il est élu « prêteur » à Rome

*en -61, il est nommé « gouverneur » en Espagne

*en-60, premier triumvirat secret entre Pompée, Crassus et César

*en-59, César devient Consul, c'est la même année que Pompée épouse Julie fille de César

*en -58, César est chargé du gouvernement de l'Illyrie (Yougoslavie) et des 2 Gaules (Gaule « cisalpine » ou Italie du Nord, et Gaule « transalpine » ou France actuelle étendue jusqu'au Rhin, mais au moment où César est nommé, les Romains ne possèdent que la partie sud de la Gaule transalpine, ce qui deviendra la province « narbonnaise »).

*printemps -58 : début de la guerre des Gaules

*-56 : renouvellement de l'alliance entre Pompée, Crassus et César

*-54 : décès de Julia fille de César et épouse de Pompée

*mai -53 : Crassus est tué par les Parthes

*septembre -52 : Vercingétorix, vaincu à Alésia, se rend à César

*-51 : derniers combats de la guerre des Gaules

*-50 : rupture de l'alliance entre Pompée et César

*12 janvier -49 : César franchit le Rubicon. Il ne dispose à ce moment là que d'une seule légion (la treizième) : début de la guerre de César contre Pompée, le Sénat, la République et leurs alliés

*9 août -48 : vaincu par César à Pharsale en Thessalie (Grèce) Pompée s'enfuit vers l'Egypte

*28 septembre -48 : arrivé en Egypte, Pompée est assassiné par les Egyptiens sur le rivage de Péluse. Malgré la mort de Cnaeus Pompée la guerre se poursuit entre César et les Pompéiens. Ceux-ci sont vaincus le 6 avril -46 à Thapsus en Tunisie puis à Munda au sud de l'Espagne le 17 mars -45. C'est la fin des Pompéiens. Entre temps, César avait vaincu les Egyptiens de Ptolémée XIII à la bataille d'Alexandrie au profit de Cléopâtre VII et Pharnace II roi du Pont (ancien royaume autour de la mer Noire) à la bataille de Zéla (au sud-est de l'Anatolie en Turquie) le 15 juin -47.

*De retour à Rome, après toutes ses victoires, César reçoit du sénat le titre de dictateur pour un an, puis pour 10 ans et enfin le titre de dictateur à vie. C'était, de fait, la fin de la République romaine.

*César entreprit de nombreuses réformes tant administratives que politiques, lança de nombreuses constructions...

*En août et septembre -46 il connut 4 « triomphes » à Rome pour célébrer ses victoires en Gaule, en Numidie (ancien royaume berbère en Afrique du nord. Juba 1er s'était allié aux Pompéiens), en Asie Mineure (contre le roi du Pont) et en Egypte. C'est le 26 septembre -46 que Vercingétorix prisonnier à Rome fut mis à mort.

*César préparait une expédition contre les Parthes lorsqu'il fut assassiné le 15 mars -44 par Brutus, Caius et leur bande de 23 coups de poignards et il mourut aux pieds de la statue de Pompée dans la curie romaine !

Jules César l'historien :

César comprit que le meilleur moyen de conserver une image positive dans l'Histoire (avec un grand H) était d'écrire soi-même l'Histoire.

Ce qu'il fit avec le récit de « la guerre des Gaules », de « la Guerre civile » (guerre contre Pompée), de « la guerre d'Alexandrie », de « la guerre d'Espagne » et de « la guerre d'Afrique ». Les textes de César sont très précis et fournissent d'importantes données. De nombreux historiens et autres chercheurs s'en servent encore.

Bien d'autres avant César eurent l'idée d'écrire eux-mêmes leur histoire, le plus célèbre étant Ramsès II qui fit graver sur de nombreux monuments du delta du Nil au Soudan le récit de SA victoire de Qadesh. Voir fiche N°80 http://jean.delisle.over-blog.com/article-les-batailles-de-qadesh-112379953.html

Ce sera aussi le cas de Napoléon Bonaparte dans « le mémorial de Sainte Hélène » même si il n'en est pas le rédacteur au sens strict du terme.

Les écrits de César contribuèrent probablement à sa réputation qui a traversé les siècles.

J.D. 12 juillet -102 pardon 2015

Pompée au musée Correr à Venise, photo J.D. 11 février 2015

Pompée au musée Correr à Venise, photo J.D. 11 février 2015

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5 janvier 2014 7 05 /01 /janvier /2014 09:29

1- l'Euphrate :

L'Euphrate, comme le Nil, a deux branches à sa source situées toutes deux en Turquie, où elles se rejoignent avant de traverser la Syrie puis tout l'Iraq pour finalement se jeter, après un parcours de 2780 km dans le Golfe persique au Chatt-el-Arab, après avoir été rejointes par le Tigre qui prend aussi sa source en Turquie.

905 km de l'Euphrate se trouvent en Turquie (2 branches cumulées), 675 km en Syrie et 1200 en Iraq.

A travers les siècles et même les millénaires, toute cette zone fut l'objet de grands enjeux entre une multitudes de pouvoirs successifs et même de civilisations. Difficile de toutes les nommer, mais à tout hasard : Mitanniens, Hittites, Sumériens, Assyriens, Akkadiens, Babyloniens, Mésopotamiens, Mèdes, Perses, Parthes, Arméniens etc etc.

Dans l'Ancien Testament, Dieu promet même aux Hébreux, à 4 reprises, un territoire allant jusqu'à l'Euphrate (Genèse 15, Exode 23, Les Nombres 34, livre de Josué 1, voir sur mon blog la note N°6 : « histoire d'Israël »), http://jean.delisle.over-blog.com/article-histoire-d-israel-55889409.html ce qui sera réalisé, d'après la Bible, au temps du roi Salomon (1er livre des Rois 5, 1er livre des Chroniques 5 et second livre des Chroniques 9), mais en tenant compte que l'Euphrate coule dans le sens nord-ouest/sud-est et que le royaume de Salomon dut empiéter sur la Syrie et non sur l'Iraq.

2- les frontières romaines :

Auguste le premier empereur romain (il régna comme empereur de -27 à +14) fixa des bornes aux conquêtes romaines : le Rhin au nord, le Danube et l'Euphrate à l'est, le Sahara au sud et l'Atlantique à l'ouest.

Trajan qui fut empereur de 98 à 117 franchit allègrement les limites fixées par Auguste, étendant jusqu'au Tigre la limite à l'est et franchissant aussi le Danube en combattant les Daces (entre 101 et 106). Les Daces occupaient un espace un peu plus grand que l'actuelle Roumanie (voir à Rome la « colonne trajane » qui raconte le combat contre les Daces en 124 sculptures). C'est à la mort de Trajan que l'empire romain fut le plus vaste de son histoire, comprenant 43 provinces occupant une superficie de plus de 5 millions de kms2 soit environ 17 fois la superficie de l'Italie d'aujourd'hui y compris Sicile et Sardaigne, avec un réseau de 90.000 km de voies romaines. Après Trajan, Hadrien (empereur de 117 à 138) trouva prudent de revenir aux limites fixées par Auguste.

*C'est Jules César le premier qui traversa la Manche et débarqua en Angleterre (appelée alors « Bretagne ») en octobre -55 et juillet -54. Il fut vainqueur des populations locales mais ne resta pas. Il fallut attendre l'empereur Claude en +43 pour que les Romains annexent l'actuelle Angleterre. Mais non maîtres du territoire nord occupé par les Pictes (Ecossais), malgré une importante victoire d'Agricola en 82, l'empereur Hadrien fit construire un mur de 117 km de long entre l'an 122 et l'an 128 qui correspond grosso-modo à la limite entre Angleterre et Ecosse. Vingt ans plus tard l'empereur Antonin fit construire un autre mur à une centaine de km plus au nord à l'endroit le plus étroit entre mer d'Irlande et mer du Nord.

*Jules César fut également le premier Romain à franchir le Rhin durant l'été -58. Il ne resta avec ses légions de l'autre côté du Rhin que 18 jours juste le temps de tailler en pièces les Germains. En +9, Varus à la tête de 3 légions franchit lui aussi le Rhin mais pris dans une zone boisée et marécageuse, les 3 légions sont complètement massacrées et Varus se suicide. A la suite les Romains construisent le « limes » sorte de ligne Maginot pour protéger leurs frontières.

*A partir de – 197, les Romains avaient commencé à s'emparer de la Grèce, puis à partir de -129, à s'implanter sur l'actuelle côte turque de la mer Egée. Mais leur volonté d'expansion vers l'Asie fut contrariée par 2 souverains locaux : Mithridate VI roi du Pont (royaume autour de la Mer Noire) et par Tigrane II roi d'Arménie qui avait en outre épousé une Cléopâtre fille de Mithridate VI.

Mithridate s'était emparé de la Cappadoce en -93, avait fait massacré tous les Romains présents en Asie mineure en -88 (80.000 Romains auraient été massacrés) et s'était emparé de la Grèce en -90/-89.

Rome sortait d'une « guerre sociale » suite à l'assassinat des Gracques (les frères Gracchus qui avaient fait voter des lois sociales) et d'une guerre civile entre les partisans de Marius et ceux de Sylla. Ceci explique aussi l'audace des Orientaux.

Sylla put reprendre la Cappadoce en -92 puis la Grèce en -86. Il fut ensuite remplacé par un de ses lieutenants Lucius Lucullus. Celui-ci fut vainqueur de Mithridate en -72/-71. Mithridate dut s'enfuir en Arménie chez son gendre. Tigrane reprit le flambeau de la lutte contre Rome. Lucullus et ses légions furent les premiers Romains à franchir l'Euphrate. Le 6 octobre de l'an -69, Lucullus remporta une des plus grandes victoires de l'histoire de Rome. S'appuyant sur des récits antiques (spécialement Plutarque : « vie de Lucullus ») voici la description de cette bataille qu'en fait Mommsen historien allemand du XIXe siècle (« Histoire romaine », livre V, chapitre II), alors que Lucullus assiège Tigranocerte capitale de Tigrane (Lucullus fera détruire complètement Tigranocerte dont l'emplacement est encore sujet à discussion, peut-être sur l'Euphrate ?):

« Une grêle inépuisable de flèches tombe sur les Romains : l'huile de naphte, jetée sur leurs machines (il s'agit de machines de sièges, tours principalement), les enflamme. Rome faisait le premier apprentissage des guerres avec l'Iran. Un brave chef, Mankéos, défendit la ville. Il tint bon jusqu'à l'arrivée de la grande armée de secours. Celle-ci, rassemblée dans toutes les parties de l'immense royaume et dans les contrées voisines ouvertes aux recruteurs arméniens, se montre enfin au-delà des passes des montagnes du nord. Taxile, le général expérimenté des guerres du Pont, conseillait d'éviter le combat, d'entourer avec la cavalerie, et d'affamer la petite troupe des soldats de Lucullus. Mais quand Tigrane a vu le Romain, désireux de livrer bataille sans abandonner le siège, marcher avec dix mille hommes seulement à la rencontre d'une armée vingt fois supérieure, et passer hardiment le fleuve qui les sépare ; quand il voit d'un côté, cette poignée d'hommes, trop nombreuse pour une ambassade, trop petite pour une armée, de l'autre, ses troupes en multitude immense, où les peuples de la mer Noire et de la mer Caspienne se coudoient avec ceux de la Méditerranée et du golfe Persique , ses redoutables lanciers à cheval, bardés de fer, plus nombreux à eux seuls que tout le corps de Lucullus, et ses fantassins, en bon nombre aussi, armés à la romaine, il se décide à son tour à accepter sur l'heure le combat offert par l'ennemi. Mais pendant que ses Arméniens prennent rang, Lucullus de son sûr coup d’œil, a déjà constaté que Tigrane a négligé une hauteur qui domine toute la cavalerie arménienne : il l'occupe aussitôt avec deux cohortes, en même temps qu'une attaque de flanc de sa petite cavalerie a détourné l'attention de l'ennemi : puis, dès qu'elles ont atteint les cimes (il s'agit des deux cohortes), ses légionnaires tombent sur le dos des Arméniens. Les chevaux-légers de Tigrane se dispersent, se jette sur l'infanterie, qui n'est point encore en ordre : celle-ci à son tour, s'enfuit sans avoir combattu. Lucullus écrivit son bulletin de victoire dans le style de Sylla, son maître. A l'entendre, contre 5 Romains tués, 100.000 Arméniens auraient péri, et Tigrane, jetant son turban et son bandeau royal, se serait sauvé seul avec quelques cavaliers. Ce qui est certain, c'est que la victoire de Tigranocerte reste l'une des plus glorieuses pages de l'histoire des exploits guerriers de Rome ; et comme elle fut éclatante, elle fut décisive. »

De retour à Rome, Lucullus n'eut pas les honneurs qu'il espérait, il se retira et termina sa vie dans le luxe. Fine fourchette il fut surnommé « Lucullus le Raffiné » et servit pendant longtemps de référence en matière culinaire.

3- au-delà de l'Euphrate :

Au-delà de l'Euphrate il y eut successivement les Mèdes, les Perses, les Parthes puis à nouveau les Perses. Mais c'est une question de « dynasties », il s'agit toujours du même peuple sur le même espace. Trajan parvint à conquérir une petite partie de l'espace perse mais pour peu de temps. Pour les Romains la défense de la frontière côté Euphrate fut toujours difficile. Ils remportèrent de nombreuses victoires sur les Perses mais jamais définitives. Dans le combat contre les Parthes ou Perses des milliers et des milliers de soldats romains y laissèrent la vie dont Crassus (alors consul) en -53 (selon Don Cassius, les Parthes lui auraient coulé de l'or fondu dans la bouche) etc .

Les Perses furent en guerre contre les Grecs du début du cinquième siècle avant notre ère jusqu'à la conquête romaine de la Grèce, puis avec l'empire romain jusqu'à la chute de l'empire romain d'occident puis avec l'empire byzantin.

On peut considérer qu'il existe une guerre millénaire qui oppose Orient et Occident avec des périodes plus actives que d'autres (guerre de Troie, guerres médiques, guerres puniques, croisades...). A l'intérieur de cette guerre globale, il existe des sous-guerres tout aussi permanentes ; c'est le cas de la guerre des Arabes contre les Hébreux commencée aux temps bibliques et à l'évidence non terminée, c'est aussi le cas de la guerre des Arabes contre les Perses, à l'évidence non terminée également même si les choses changent de nom. Aujourd'hui on ne dit plus Perses contre Arabes mais Chiites contre Sunnites, mais c'est en fait la poursuite des mêmes rivalités, des mêmes haines millénaires.

Nos stratèges feraient bien de méditer les leçons de l'Histoire.

J.D. 5 janvier 2014

La récapitulation thématique des notes de ce blog se trouve sur la fiche N° 76http://jean.delisle.over-blog.com/article-blog-liste-des-articles-111165313.html

sarcophage romain, musée Arles antique, photo J.D. 6 juin 2013

sarcophage romain, musée Arles antique, photo J.D. 6 juin 2013

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25 juin 2013 2 25 /06 /juin /2013 17:51

C'est en mars 2012 que la ville d'Aix-les-Bains a racheté à l'Etat français un ensemble de bâtiments appelé « Thermes nationaux ». Ces bâtiments avaient été construits par extensions successives entre 1783 et 1970, à l'emplacement d'anciens thermes romains (voir sur mon blog les notes 24 à 26 relatives à Aix au temps romain).

Au moment de la réunion de la Savoie à la France en 1860, une extension des thermes étaient en cours de réalisation. Le second empire acheva les travaux, paya la facture et récupéra pour le compte de l'Etat la propriété des Thermes d'Aix-les-Bains qui furent des thermes nationaux jusqu'à la cession au secteur privé par arrêté du 25 février 2011 publié au J.O. du premier mars 2011 (page 3646). A ce moment là, l'activité thermale avait déjà été transférée dans de nouveaux bâtiments appelés « thermes Chevalley » situés un peu plus haut que les anciens thermes.

La partie en construction au moment de la réunion de la Savoie à la France a été appelée « thermes Pellegrini » du nom de l'architecte. La première pierre (détachée du mont Cenis, dont les travaux du tunnel démarraient également) fut posée le 2 septembre 1857 par Victor-Emmanuel II alors roi de Sardaigne.

La façade de ces thermes « Pellegrini » comporte 3 portes. Au dessus de la porte de gauche en fer forgé (lorsque l'on regarde la façade) figure cette inscription (encore visible aujourd'hui) : « Aquae Gratianae » ce qui peut se traduire par : « ville d'eau de Gratien ». Cette même mention figurait également sur le fronton du bâtiment construit en 1934, mais qui fut détruite lors de la surélévation du bâtiment en 1970. Cela ne signifie pas que l'empereur Gratien fut le fondateur de la ville romaine d'Aix ni même qu'il en fut le restaurateur, cela signifie seulement qu'au moment où ces inscriptions furent apposées, il y avait à Aix-les-Bains des gens qui croyaient que la ville d'Aix avait été restaurée au temps de Gratien et qu'elle avait pris son nom et cela par analogie avec la situation de Grenoble. En effet, l'antique cité de Cularo avait pris, au quatrième siècle, en 381, le nom de Gratianopolis (la ville de Gratien) , qui par évolution a donné l'actuel nom de Grenoble.

Nous n'avons aucune preuve que la ville d'Aix-les-Bains ait pu s'appeler « Aquae Gratianae », faute d'être vérifiée, cette hypothèse n'est cependant pas impossible.

Le nom d'Aix antique : Les Romains donnaient aux villes d'eaux le nom d'Aquae suivi d'un qualificatif. Ainsi Aix-en-Provence s'appelait Aquae Sextiae du nom du consul Sextius qui fit la conquête de la Provence. De même, et par exemple, Dax s'appelait Aquae Tarbellicae, Aix-la-Chapelle : Aquae Granni, Baden : Aquae Helveticae, Wiesbaden : Aquae Mattiacae etc. Parmi toutes les inscriptions romaines qui furent retrouvées au fil des siècles sur le site d'Aix-les-Bains, aucune ne mentionne le nom antique de la ville. Il est seulement fait mention des « aquenses » les habitants de la ville d'eau (cette inscription figure au corpus des inscriptions latines, C.I.L. Volume XII N° 2460). On ne retrouve pas plus le nom antique d'Aix sur une carte ou sur un récit antique.

Les nombreux auteurs qui ont écrit sur Aix dans le passé ont tout imaginé, depuis Cabias en 1623. Une majorité pense qu'Aix aurait pu s'appeler « Aquae Allobrogum » (la ville d'eau des Allobroges) par analogie avec Baden, puis aurait pris le nom d'Aquae Gratianae vers l'an 379.

A l'occasion de la construction du parking de l'Hôtel de Ville d'Aix-les-Bains (place Maurice Mollard, entre la Mairie et les Thermes Nationaux), le service régional de l'archéologie de Lyon fit sur le site une importante campagne de fouilles conduite par Alain Canal en 1988 et 1989. Voilà ce que l'on peut lire dans un rapport daté du 30 novembre 1992 :

« Le hiatus du troisième siècle : la campagne de fouilles 1988-1989 n'a révélé aucun élément , tant en bâtiment qu'en matériel, pour la période allant du IIIe siècle à la fin du IVe siècle. On a donc là un hiatus important qu'il faudrait peut-être mettre en rapport avec les premiers raids alamans . Leurs passages aux conséquences socio-économiques catastrophiques sont connus dans cette région : entre 256 et 260, la villa de Cognin (dans la banlieue sud-ouest de Chambéry) est incendiée ; le même sort est réservé à la villa des Marches (à la limite avec le département de l'Isère), vers 259, alors que Aime (en Tarentaise) est ravagée aux alentours de 270. A la même époque Grenoble et Genève subissent un rétrécissement de leurs contours pour assurer une meilleure défense. L'absence de séquences stratigraphiques liées à cette époque troublée pourrait peut-être s'expliquer par un abandon momentané du site ».

On sait que les Alamans firent partie des vagues d'invasion de l'empire romain y compris en Gaule à partir de l'an 244 et surtout en l'an 253. Il est donc possible que la ville antique d'Aix ait été détruite au IIIe siècle lors des invasions « barbares ».

C'est lorsque le site d'Aix-les-Bains paraît abandonné que surgissent au nord du lac du Bourget, le port romain de Chatillon ainsi que l'atelier de potiers de Portout. Et ceux-ci cessent leurs activités lorsque Aix probablement relevé de ses ruines reprend les siennes. Cela pourrait indiquer que les habitants avaient trouvé refuge à une quinzaine de kms plus au nord. Il n'est donc pas impossible, mais nous n'avons pas de preuves, que la ville antique d'Aix ait été restaurée au temps de Gratien et qu'elle ait pris son nom, et ce d'autant que Gratien fut vainqueur des Alamans en 377.

L'empereur Gratien : Gratien est le fils de l'empereur d'Occident Valentinien 1er et de sa première épouse Severa. Il est également le neveu de Valens empereur romain d'Orient. Il est né en 359 à Sirmium (dans l'actuelle Serbie). Le 24 août 367 (Gratien avait 8 ans), à Amiens, son père le fait proclamer empereur. Mais lors de la mort de Valentinien le 17 novembre 375, l'impératrice Justine, seconde épouse de Valentinien fait proclamer empereur son fils âgé de 4 ans sous le nom de Valentinien II.

Gratien accepta cette situation et partagea le pouvoir avec son demi-frère, mais compte-tenu de l'âge de ce dernier, il gouverna de fait.

En 377 il fut vainqueur des Alamans, en 378 il porta secours, mais arriva trop tard à son oncle Valens aux prises avec les Goths et qui fut tué le 9 août 378 à Andrinople (dans l'actuelle Turquie). Gratien nomma, le 19 janvier 379, Théodose comme successeur à son oncle. Avec Théodose, ils furent vainqueurs des Goths en 380.

Gratien favorisa l'expansion du culte chrétien. Mais en Bretagne (actuelle Grande-Bretagne), les légionnaires élirent un autre empereur : Maxime. Celui-ci envahit la Gaule et Gratien fut tué à Lyon le 25 août 383, il avait 24 ans.

J.D. 25 juin 2013

Nota : sur le passé antique d'Aix-les-Bains, j'ai eu l'occasion de faire une conférence le 6 décembre 2013 à la salle des fêtes de Saint Jean d'Arvey (Savoie) à l'initiative de la bibliothèque municipale.

inscription,photo J.D juin 2013

inscription,photo J.D juin 2013

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23 juin 2013 7 23 /06 /juin /2013 15:23

Le 21 juillet de l'an 365, se produisit dans le bassin oriental de la Méditerranée un cataclysme que l'on appellerait aujourd'hui tsunami. L'événement fut relaté par plusieurs auteurs et spécialement par Ammien Marcelin (vers330/vers395) qui écrivit une histoire de l'empire romain sous le titre « Res Gestae » dont une grande partie est perdue mais dont il reste le récit concernant les années 353 à 378.

Edward Gibbon, historien anglais du XVIIIe siècle a fait la synthèse des récits disponibles sur le cataclysme du 21 juillet 365 et voilà ce qu'il écrit dans « Histoire du déclin et de la chute de l'empire romain » (collection « Bouquins » Robert Laffont tome 1, chapitre XXVI):

« Dans la seconde année du règne de Valentinien et de Valens (Valentinien fut empereur de 364 à 375 avec sa capitale d'abord à Milan puis à Trèves à partir de 367, tandis que son frère Valens fut empereur romain d'orient de 364 à 378 avec sa capitale à Constantinople), le 21 du mois de juillet, pendant la matinée, un tremblement de terre violent et destructeur ébranla presque toute la surface du globe occupée par l'empire romain. Le mouvement se communiqua aux mers ; les rives baignées ordinairement par la Méditerranée restèrent à sec ; on prit à la main une quantité immense de poissons. De grands vaisseaux se trouvèrent enfoncés dans la bourbe, et la retraite des flots offrit à l’œil ou plutôt à l'imagination flattée de ce singulier tableau, des montagnes et des vallées qui, depuis la formation du monde, n'avaient jamais été exposées aux rayons du soleil. Mais au retour de la marée, les eaux s'élancèrent avec une impétuosité et un poids irrésistibles, qui causèrent les plus grands désastres sur les côtes de la Sicile, de la Dalmatie, de la Grèce et de l'Egypte. De grands bateaux furent entraînés et placés sur les toits des maisons, ou à distance de deux milles du rivage ordinaire (le mille romain valait, 1,482 kms). Les maisons englouties disparurent avec leurs habitants, et la ville d'Alexandrie a perpétué, par une cérémonie annuelle, le souvenir de l'inondation funeste qui coûta la vie à cinquante mille de ses citoyens. Cette calamité, dont le récit s'exagérait en passant d'une province à l'autre, frappa tout l'empire d'étonnement et d'épouvante, et les imaginations effrayées étendirent les conséquences d'un malheur momentané. On se rappelait les tremblements de terre précédents, qui avaient détruit les villes de Palestine (le 19 mai 363) et de la Bithynie (le 3 décembre 362, la Bithynie est un ancien royaume situé dans l'actuelle Turquie) et les Romains étaient disposés à regarder ces coups terribles comme l'annonce de malheurs encore plus affreux. Leur vanité timide confondait les symptômes du déclin de leur empire avec ceux de la fin du monde. On avait alors pour habitude d'attribuer tous les événements extraordinaires à une volonté particulière de la Divinité. Tous les phénomènes de la nature se trouvaient liés par une chaîne invisible aux opinions morales ou métaphysiques de l'esprit humain, et les plus profonds théologiens pouvaient indiquer, d'après l'espèce de leurs préjugés, comment l'établissement de l'hérésie tendait nécessairement à produire le tremblement de terre ; par quelle cause l'inondation devait inévitablement résulter des progrès de l'erreur et de l'impiété. Sans prétendre discuter la probabilité de ces sublimes spéculations , l'historien doit se contenter d'observer , sur l'autorité de l'expérience, que les passions des hommes sont plus funestes au genre humain que les convulsions passagères des éléments. Les effets destructeurs d'un tremblement de terre, d'une tempête, d'une inondation ou de l'éruption d'un volcan sont très peu de choses comparés aux calamités ordinaires de la guerre. »

Le contexte : Le quatrième siècle de notre ère avait commencé par d'abominables massacres entre les partisans de 7 candidats au pouvoir. Constantin, le plus fort ou le plus malin récupéra d'abord en 313 le pouvoir sur la partie occidentale de l'empire puis en 324 sur la totalité de l'empire après avoir vaincu Licinius en 324. Avant Constantin, l'empereur Dioclétien avait divisé l'empire entre Orient et Occident. En reprenant tout l'empire, Constantin en refaisait l'unité.

Dès 313, Constantin par « l'édit de Milan » dit aussi « édit de tolérance » reconnaissait la nouvelle religion catholique et en fait, elle devenait religion « d'état ». Puis en 330, Constantin transférait la capitale de l'empire à Byzance qui pour la circonstance prenait le nom de « Constantinople ». Mais dès la mort de Constantin le 22 mai 337, ses fils se partagent à nouveau l'empire et...se font la guerre !

Puis vint Julien au pouvoir de 355 à 363 que les chrétiens ont surnommé « Julien l'apostat » parce qu'il rétablit les anciens cultes.

Ainsi lorqu'eurent lieu les séismes évoqués ci-dessus, de 362 à 365, le monde romain était profondément divisé entre la partie orientale de langue grecque et la partie occidentale de langue latine, entre les adeptes de l'ancienne religion et les chrétiens. Ces divisions se retrouvèrent dans toutes les couches de la société y compris dans l'armée. Les luttes pour le pouvoir étaient toujours d'actualité. En outre, l'empire était toujours en guerre contre les Perses, guerre toujours recommencée et enfin les « barbares » commençaient à envahir l'empire en « Bretagne » (actuelle Angleterre), et franchissaient le Rhin, le Danube...

La population vivait donc dans un contexte particulièrement incertain et inquiétant. Il n'est pas surprenant que les clercs en aient profité pour utiliser les catastrophes naturelles comme « signes » pour ramener leurs « ouailles » dans le « droit chemin ». Dès l'antiquité des philosophes avaient fait remarquer que les guerres entre les humains faisaient plus de victimes que les catastrophes naturelles et le vingtième siècle ne put pas démentir ce constat et si le vingt et unième siècle y dérogeait, ce serait probablement la première fois dans l'histoire de l'espèce humaine.

J.D. 23 juin 2013

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22 octobre 2010 5 22 /10 /octobre /2010 10:25

 

Hannibal

Mais où sont donc passés les 37 éléphants d'Hannibal ?

 

Les historiens distinguent classiquement 3 guerres entre Rome et Carthage; appelées « guerres puniques ». Le « punique » était le dialecte phénicien parlé à Carthage.

La première guerre de l'an 264 à l'an 241 avant notre ère, la seconde de l'an 219 à l'an 202, et la dernière de l'an 149 à l'an 146.
Mais comme entre chaque guerre, on préparait la suivante; on pourrait tout aussi bien considérer qu'il n'y eut qu'une seule guerre qui s'étala sur 118 années et fut de ce fait la première guerre de cent ans. ( la guerre appelée de « cent ans » entre Français et Anglais s'étala sur 116 années de 1337 à 1453).

La guerre entre Rome et Carthage fut aussi la première guerre mondiale tant par l'étendue des zones de combats (toute l'Afrique du Nord, l'Espagne, la Gaule, l'Italie, la Yougoslavie, la Grèce et toutes les îles de la Méditerranée), par la mise en oeuvre de concepts toujours en vigueur (fabrication industrielle de l'armement y compris navires de guerre, contrôle des zones de recrutement et d'approvisionnements, opérations combinées terre/mer...) et aussi par le nombre de combattants engagés. Ainsi pour une seule bataille navale (celle d'Ecnome en -256), près de 300.000 hommes étaient embarqués selon Polybe qui écrit (Histoires livre I-26) : « la force marine romaine comprenait cent quarante mille hommes, chaque navire embarquant trois cents rameurs et cent vingt soldats. Les carthaginois...leur effectif dépassait cent cinquante mille hommes ».

Avant de se lancer sur les traces d'Hannibal, essayons de comprendre le pourquoi et le comment des choses.

 

1 Les origines lointaines de la guerre :

Les Phéniciens avaient développé des cités très prospères (Tyr, Sidon, Byblos...) sur la côte de l'actuel Liban. La richesse de ces villes provenait essentiellement du commerce maritime. Mais leur paix fut troublée au début du XIIe siècle avant notre ère par « les peuples de la mer ». Il est question de ces « peuples de la mer » sur une inscription égyptienne du temple de Médinet Habou. Ces « peuples de la mer », après avoir détruit des villes hittites (situées en Anatolie dans l'actuelle Turquie) dont la capitale Hattusas (ce qui entraîna la disparition de la civilisation hittite), ravagèrent les côtes de la Phénicie, détruisant une des principales villes phéniciennes (Ougarit) et tentèrent de débarquer en Egypte où ils furent repoussés par Ramsès III. La date de ces événements concorde avec la date supposée de la légendaire guerre de Troie.

On peut penser que c'est à la suite de ces faits que les Phéniciens partirent explorer et conquérir la Méditerranée occidentale. On ne sait pas grand chose sur cette exploration. On constate seulement qu'à partir de la fin du XIe siècle et du début du Xe siècle, les Phéniciens implantent et développent des colonies en Méditerranée occidentale et renforcent encore ainsi leur position dans le commerce maritime.

Les plus anciennes implantations phéniciennes sont réalisées de part et d'autre du détroit de Gibraltar côté Atlantique. D'abord à Lixus (Laraché) au nord du Maroc puis à l'emplacement de l'actuelle Cadix en Espagne (vers -1.110), comme si les Phéniciens avaient voulu protéger l'accès à la Méditerranée, faute de pouvoir découvrir ce qu'il pouvait y avoir de l'autre côté d'une mer nouvelle pour eux. On trouve ensuite une implantation à Utique, au nord de l'actuelle ville de Tunis; position idéale pour contrôler le passage entre la Sicile et la Tunisie, c'est-à-dire entre la Méditerranée occidentale et la Méditerranée orientale. Puis, soit à partir d'implantations directes de Phénicie, soit à partir du développement ou du dédoublement de leurs colonies, les Phéniciens multiplièrent leurs implantations et contrôlèrent ainsi toute l'Afrique du Nord, le sud de l'Espagne, les Baléares, la Corse, la Sardaigne, l'ouest de la Sicile, Malte...

Parmi toutes leurs cités, Carthage connut le principal développement, domina les autres colonies phéniciennes et assura même la survie de le civilisation phénicienne après la disparition des cités-mères (suite à la conquête de la Phénicie par Alexandre-le-Grand en -332). A noter que selon l'archéologie, Carthage aurait été fondée en -814, ce qui ne cadre pas avec le légendaire passage d'Enée à Carthage chez la reine Didon. Par contre cette date pourrait coïncider avec la cité d'Utique dont la création est plus ancienne.

La prospérité qu'apportèrent ces colonies aux cités phéniciennes suscita l'envie. Selon Hérodote (historien grec du Ve siècle avant notre ère appelé « le père de l'histoire » par Cicéron), les Lydiens se seraient implantés en Toscane où mélangés aux autochtones, ils seraient les ancêtres des Etrusques. Cela pourrait expliquer l'importance des connaissances des Etrusques. Connaissances dont ont largement bénéficié les Romains.. Voir « L'Enquête » d'Hérodote I-94. La Lydie se trouvait dans l'actuelle Turquie au sud de l'espace occupé par les Troyens. Hérodote situe cette arrivée des Lydiens en Toscane au XIIIe siècle avant notre ère, mais les historiens pensent aujourd'hui que c'est plutôt vers le VIIIe siècle.

Puis, ce furent les Grecs qui, à peu d'intervalle des Lydiens mais de façon plus systématique, se lancèrent dans la ruée vers l'ouest. Ils occupèrent tout le golfe de Tarente au sud de l'Italie, la côte italienne en remontant jusque dans le Latium (région autour de Rome), l'est de la Sicile.... Les Grecs de la cité de Phocée allèrent fonder Marseille en Gaule et Empurias en Espagne. Tacite par exemple, dans ses « Annales » (livre IV- LVIII) indique que les Grecs s'étaient installés à Capri, tandis que Plutarque fait descendre les Sabins des Spartiates (Vies parallèles, Romulus 16-1, Numa1-5). Or les Sabins occupaient dans le Latium le site le plus proche de la colline du Palatin où Romulus fonda, selon la légende, la ville de Rome.

La conquête de la Méditerranée occidentale devint un enjeu stratégique majeur pour les grandes puissances de l'époque et naturellement, Grecs, Phéniciens, Etrusques se firent la guerre. Certaines batailles, à l'époque, furent célèbres :

*la bataille d'Alalia en Corse en -535 (Victoire des Carthaginois sur les Grecs)

*la bataille d'Himère au nord de la Sicile en -480 (victoire des Grecs sur les Carthaginois)

*la bataille de Sélinonte au sud de la Sicile en -409 (victoire des Carthaginois) etc

C'est probablement parce que les grandes puissances de l'époque étaient occupées à se faire la guerre pour le contrôle de la Méditerranée occidentale qu'elles ne virent pas monter la puissance romaine. Parti d'une des collines de Rome, un peuple avait agrandi son territoire en annexant ceux des voisins; d'abord les plus proches : Sabins et Latins, puis ceux un peu plus loin : Herniques, Volsques, Marses, Eques, puis ceux encore plus loin : Samnites, Etrusques, Brutiens etc. Ce peuple s'était aguerri dans des combats toujours recommencés et avait mis au point une formidable machine de guerre. Rome avait été fondée par des paysans, des terriens. L'extension de cette cité s'était faite uniquement sur terre. De la fondation de Rome le 21 avril -753 (date légendaire issue d'un texte de Plutarque, mais non contredite par l'archéologie) jusqu'à la première guerre punique, c'est à dire pendant 5 siècles, Rome n'eut quasiment pas de marine.

L'absence totale de Rome des routes maritimes explique probablement que les grandes puissances de l'époque, toutes puissances maritimes, ne se soient pas inquiétées de Rome. Alexandre-le-Grand, mort à Babylone le 11 juin -323, n'a par exemple probablement jamais entendu prononcer le mot « Romain ». On a de cet état de fait une confirmation indirecte par l'exemple suivant : les cités grecques du golfe de Tarente, menacées par les Samnites, appelèrent la mère-patrie (la Grèce) à la rescousse. Alexandre débarqua dans le golfe de Tarente en -328 avec des phalanges. Il ne s'agit bien sûr pas d'Alexandre-le-Grand qui à cette date était en route vers l'Inde, mais de son oncle maternel qui s'appelait aussi Alexandre. Cet Alexandre remporta plusieurs victoires avant d'être tué d'un javelot dans le dos, ce qui mit fin à son expédition. Mais, si il combattit les Samnites où les Brutiens, il ne s'intéressa pas aux Romains, preuve qu'il ne les avait pas identifiés comme un danger. Ils étaient pourtant probablement déjà les plus forts. Tite-Live par exemple consacre une partie de son « Histoire romaine » (Livre IX, 17 à 19) à se demander si Alexandre-le-Grand aurait pu vaincre les Romains. Après une analyse exhaustive des effectifs, de l'armement, de la stratégie, du commandement, des ressources.... (un vrai rapport d'état-major), il conclut que les Romains du temps d'Alexandre-le-Grand, auraient vaincu ce dernier. Naturellement Tite-Live était Romain...

Mais il faut convenir que depuis la mort du roi Numa en -672, les Romains n'avaient pas cessé de combattre et cela leur avait donné une grande efficacité dans l'art de la guerre. Ils avaient déjà eu des généraux prestigieux tel Camille. Ce qui arriva à Pyrrhus d'abord et à Hannibal ensuite pourrait conforter la thèse de Tite-Live.

Si, lorsqu'Alexandre débarque en -328, les Romains ne sont pas encore considérés comme une grande puissance, on est à une période charnière, car moins de 50 ans plus tard (en -280), Pyrrhus débarque avec une armée dans le golfe de Tarente et il vient pour détruire la puissance romaine. On méditera au passage sur les capacités de la marine, déjà capable à l'époque de transporter, une armée avec des éléphants, des chevaux... depuis l'Epire (actuelle Albanie), jusqu'au Golfe de Tarente. Selon Plutarque (Vie de Pyrrhus), Pyrrhus débarqua avec 20.000 phalangites, 3.000 cavaliers, 2.000 archers, 500 frondeurs et 20 éléphants.

Pyrrhus recrute dans les cités grecques d'Italie, constitue une ligue anti-romaine avec tous les peuples que Rome avait vaincus les uns après les autres, des Etrusques au nord, aux Brutiens au sud, en passant par les Samnites, les Senons ou les Lucaniens à l'est. Les Romains envoient leurs légions à la rencontre de Pyrrhus. La première bataille eut lieu à Héraclée en -280, sur le Golfe de Tarente, à 4 kms à l'intérieur des terres. Les phalanges contre les légions, le choc des titans ! Les éléphants feront la différence. Les Romains n'en avaient encore jamais vus et ces chars d'assaut sèment la panique dans leurs rangs. Pyrrhus reste maître du champ de bataille; mais si il avait mis les légions en déroute il ne les avait pas détruites. C'est ce qui fut appelé une « victoire à la Pyrrhus ». L'Histoire a retenu le nom de Gaius Minucius, premier hastaire de la quatrième légion (hastaire de « hasta » : lance) qui parvint à blesser et à renverser un éléphant sauvant ainsi l'armée romaine (voir Mommsen, « Histoire romaine », livre II chapitre VII).

La seconde bataille eut lieu dans les Pouilles en -279 à Ausculum (Ascoli di Puglia). Contre les éléphants, les Romains avaient organisé leurs défenses (c'est le cas de le dire), en multipliant les archers et les frondeurs, en équipant les roues de leurs chars avec des faux, ainsi qu'avec des réchauds enflammés mis en avant des chars au moyen de bras soudés aux chars. Malgré l'importance des armées de Pyrrhus et de ses alliés, (70.000 fantassins, 18.000 cavaliers et encore 19 éléphants), les Romains ne cèdent pas. La bataille laisse beaucoup de victimes sur le terrain mais ni vainqueurs ni vaincus. Pyrrhus s'embarque alors en Sicile (en -278) à l'appel des cités grecques attaquées par les Carthaginois. Pyrrhus défait les Carthaginois assurant la mainmise des Grecs sur toute la Sicile, puis revient à Tarente en -276, mais entre-temps, les Romains avaient réglé le sort de tous les peuples qui s'étaient alliés avec Pyrrhus. La troisième bataille a lieu en -275 à Bénévent ( Benevento, ancienne capitale des Samnites sous le nom de Maleventum que les Romains avaient rebaptisé Beneventum, à une centaine de kms à l'est de Naples). Pyrrhus est écrasé et rembarque avec les débris de son armée pour la Grèce. Stupeur à Carthage lorsque l'on apprend que Pyrrhus vainqueur des Carthaginois a été vaincu par les Romains. Le Sénat de Carthage envoie la marine avec des troupes et consignes de conquérir les villes grecques du golfe de Tarente, mais trop tard; les Romains avaient terminé la conquête de l'Italie du sud.

Les Phéniciens qui avaient combattu les Grecs depuis 3 siècles pour rester les maîtres de la Méditerranée occidentale découvraient tout à coup qu'un ennemi pouvait en cacher un autre. Deux grandes puissances dans le même espace, c'en était une de trop; la guerre était inévitable.

 

2) Les causes proches de la guerre :

Sitôt Pyrrhus parti, les Carthaginois avaient repris pied en Sicile, regagné le terrain perdu et même plus, en occupant presque toute la Sicile. Quelques années plus tard, les habitants de Messine entrèrent en guerre contre ceux de Syracuse. Moins forts, les Mamertins (habitants de Messine), proposèrent à Rome (en -265) de devenir citoyens romains pour obtenir l'aide de Rome contre Syracuse. Les Mamertins avaient la réputation d'être des brigands, et d'autre part, Rome avait un traité d'alliance avec Syracuse. Un grand débat eut lieu tant au Sénat que parmi la plèbe. Voir Polybe (histoires livre I 10/11). La question clairement posée (pour une fois!) était faut-il donner la priorité à la raison d'Etat (aider Messine c'était prendre pied en Sicile et arrêter l'expansion de Carthage, dont la tentative avortée de s'emparer du golfe de Tarente avait alerté les Romains), ou à la morale en respectant la parole donnée à Syracuse au moyen d'un traité ? Finalement la raison d'état l'emporta. Théodor Mommsen, célèbre historien allemand du XIXe siècle consacre un long développement à ce débat (Histoire romaine, livre III, chapitre II). Pour les Carthaginois, l'arrivée des Romains en Sicile n'était pas supportable; ce fut la guerre.

 

3) la première guerre punique et ses suites

Cette première guerre dura 24 ans, connut des fortunes diverses mais se termina à l'avantage des Romains. Les Romains s'étaient emparés d'une galère carthaginoise que la tempête avait jetée sur leurs côtes. Ils copièrent ce bâtiment et firent de la production de navires en grandes séries, d'abord 120 puis plusieurs centaines ensuite, alignant les coques sur les plages. Ils recrutèrent des marins dans les cités grecques d'Italie du sud ou à Marseille. Cela faisait plusieurs siècles que Grecs et Phéniciens se battaient, les marins grecs n'eurent donc aucun état d'âme à s'allier aux Romains contre leurs ennemis séculaires. Les Romains équipèrent leurs navires de ponts mobiles avec des grappins (appelés aussi « corbeaux ») qui s'accrochaient aux navires ennemis. Ils embarquèrent des légionnaires qui par le biais des ponts mobiles déferlaient sur les navires carthaginois et s'y battaient comme à terre. Les batailles navales furent ainsi à l'avantage des Romains : celle de Myloé (-259), celle d'Ecnome (-256, 700 navires s'affrontèrent), celle des îles Egates (10 mars -241).

Plusieurs fois la tempête détruisit la flotte romaine. A chaque fois, sans se décourager les Romains fabriquèrent d'autres navires et c'est sur mer qu'ils gagnèrent cette première guerre contre Carthage. Un traité de paix fut signé : Carthage devait payer un tribut annuel à Rome, abandonna la Sicile aux Romains et l'Espagne fut divisée en 2 zones d'influence. Le rio Jucar, fleuve qui se jette dans la Méditerranée à une vingtaine de kms au sud de Valencia, servit de ligne de démarcation entre Rome au nord, et Carthage au sud.

La guerre terminée, les Carthaginois épuisés n'avaient plus les moyens de payer les mercenaires qu'ils avaient recrutés pour combattre Rome. Mécontents, ceux-ci tournèrent leurs armes contre Carthage. Le Sénat de Carthage fit appel à Hamilcar Barca, général carthaginois qui lui-même n'avait pas été vaincu par les Romains. Hamilcar mobilisa et extermina les mercenaires au terme d'une guerre qui dura près de 5 années et fut l'objet de part et d'autre de cruautés inouïes.

Rome profita de ces troubles internes à Carthage pour s'emparer en -238 de la Corse et de la Sardaigne (c'est seulement en -218, que Rome s'empara aussi de Malte). Après la Sicile, ils étaient ainsi les maîtres de la mer dans la Méditerranée occidentale. C'était contraire au traité de paix avec Carthage, mais une nouvelle fois, la raison d'état l'emporta sur la morale. On peut comprendre la fureur des Carthaginois. Ces descendants de marins réputés depuis des siècles avaient été battus sur mer par des terriens, qui maintenant leur enlevaient sans coup férir leur empire maritime. Après avoir vaincu les mercenaires, Hamilcar Barca alla en Espagne pour y consolider les positions carthaginoises.

A la mort d'Hamilcar en -229, ce fut son gendre Hasdrubal qui prit le commandement de l'armée carthaginoise d'Espagne et lança la construction de la ville de Carthagène (ville située sur la Méditerranée à 110 kms au sud d'Alicante). Lorsqu'Hasdrubal fut assassiné en -221, ce fut son beau-frère Hannibal qui lui succéda. Hannibal, né en -247, était le fils aîné d'Hamilcar Barca. Avant de partir pour l'Espagne, son père lui avait fait jurer devant les dieux de Carthage d'avoir toujours la haine des Romains. Ce thème sera repris par Virgile dans « l'Enéïde » où la reine Didon se suicidant appelle sa descendance (les Carthaginois) à haïr la descendance d'Enée (les Romains)

 

4) la seconde guerre punique

Hannibal était convaincu qu'une seconde guerre avec Rome était inévitable et qu'il valait mieux la porter en Italie plutôt que de la subir une seconde fois sur son territoire. Les Carthaginois avaient perdu le contrôle de la mer. Seule une invasion terrestre pouvait donc être envisagée. Il rassembla à Carthagène une formidable armée : 100.000 fantassins, 10.000 cavaliers et des éléphants.

Au printemps -219, il part assiéger Sagonte, ville côtière du parti romain située à 25 kms au nord de l'actuelle Valencia. Les Sagontins ont le temps de faire partir des émissaires pour prévenir le Sénat romain. Curieusement, les Romains tergiversent et envoient une délégation à Sagonte pour rencontrer Hannibal qui se moque des Romains et renvoie cette délégation vers Carthage. Les Romains naviguent d'Espagne vers Carthage, exposent leurs griefs au sénat de cette ville qui ne veut rien entendre. La délégation romaine repart pour Rome en promettant la guerre. Mais le temps des différentes navigations, et après 8 mois de siège, Hannibal emporte Sagonte d'assaut et retourne prendre ses quartiers d'hiver à Carthagène.

Au printemps -218, il repart avec sa formidable armée en direction de l'Italie. Il combat et détruit dans la moitié nord de l'Espagne tout ce qui était dans le parti romain, ne conserve avec lui que 60.000 fantassins, ses cavaliers et ses éléphants, franchit les Pyrénées probablement au col du Perthus et poursuit sa route vers l'Italie en suivant la voie côtière. Lorsqu'Hannibal arrive au delta du Rhône, les Romains qui avaient mis longtemps à réagir, débarquent à Marseille en venant de Pise (qui à l'époque était un port) par bateaux. Cette armée romaine comptait 20.000 fantassins (3 fois moins que l'armée d'Hannibal), 2.000 cavaliers (5 fois moins qu'Hannibal) et pas d'éléphants. Hannibal en avait 37. (Polybe, Histoire livre III 42 11). L'armée romaine était commandée par les frères Scipion : Publius qui était alors consul et Gnaeus qui avait été consul 4 ans plus tôt (les 2 frères seront tués en Espagne 6 ans plus tard).

L'histoire nous apprend qu'Hannibal voulant éviter l'armée romaine remonta la vallée du Rhône et arriva en Italie par un col des Alpes que cherchent depuis 20 siècles historiens, géographes, stratèges, touristes... Dès ce stade, on peut se poser quelques questions élémentaires :

*Pourquoi Hannibal aurait-il voulu éviter l'armée romaine dans le delta du Rhône alors qu'il était venu pour la détruire. Ce qu'il fit partout où il la rencontra soit avant d'arriver au delta du Rhône (en Espagne), soit après, aussi bien en Italie du nord (bataille du Tessin et de la Trébie), qu'en Italie du centre (bataille du lac Trasimène) où qu'en Italie du sud (bataille de Cannes etc) ?

*Lorsque 2 armées de taille très inégale se rencontrent, laquelle à intérêt à éviter le combat, celle qui est 3 à 5 fois plus forte ou la plus faible et laquelle au contraire avait intérêt à souhaiter le combat pour ne pas laisser d'ennemis derrière elle?

Si Hannibal avait remonté la vallée du Rhône, logiquement, les Scipion auraient dû rebrousser chemin, rejoindre les légions stationnées en Italie du nord et attendre Hannibal à sa descente des Alpes; mais ce n'est pas ce que nous enseigne l'histoire. Publius Scipion, avec une faible escorte, retourna en Italie du nord (qui ne s'appelait pas encore Italie mais « Gaule cisalpine ». Le célèbre Rubicon entre Ravenne et Rimini servait à l'est de frontière entre la Gaule et l'Italie. Ce n'est qu'au temps de Jules César que la Gaule Cisalpine prit aussi le nom d'Italie. Mais l'existence, à cette époque, de 2 Gaules peut entraîner des confusions dans les récits concernant les Gaulois entre ceux de la Gaule Cisalpine, l'actuelle Italie du nord et ceux de la Gaule transalpine, l'actuelle France étendue jusqu'au Rhin), prit le commandement des légions qui s'y trouvaient tandis que son frère et les troupes continuaient vers l'Espagne avec les navires qui les avaient amenés à Marseille. Theodor Monnsen vit bien l'absurdité de cette décision des frères Scipion puisqu'il écrit (Histoire romaine, livre III chapitre IV) : « Du moins Scipion pouvait-il encore, à la première nouvelle du passage du fleuve, s'en retourner avec toute son armée : en passant par Gênes il ne lui fallait que sept jours pour arriver sur le Pô. Là il opérait sa jonction avec les corps plus faibles stationnées dans la contrée : il attendait l'ennemi et le recevait vigoureusement. Mais non, après avoir perdu du temps en courant sur Avignon, il semble que Scipion, homme habile pourtant, n'ait eu alors ni courage politique ni tact militaire; il n'ose pas prendre conseil des circonstances, et modifier la destination de son corps d'armée; il le fait rembarquer pour l'Espagne en majeure partie sous le commandement de Gnaeus son frère »

Mais, cette décision des Scipion, contre toute logique, Hannibal pouvait-il la prévoir ? Si l'on répond non, il faut admettre que l'intérêt d'Hannibal était de détruire cette armée romaine avant de lui laisser le loisir d'aller grossir les rangs d'autres légions. Ne pas profiter de la disproportion des forces pour détruire cette armée et la laisser dans son dos, aurait été pour Hannibal une stupidité. Alors d'où vient cette histoire d'Hannibal remontant la vallée du Rhône et passant par les Alpes pour éviter le combat avec les Romains, dans la région de Marseille ? Elle a une source et une seule, elle s'appelle Polybe.

 

5) Mais qui est Polybe ?

Polybe est un grec, qui fit partie d'un contingent d'otages que les Grecs remirent aux Romains après la bataille de Pydna, en Macédoine, en -168.

Arrivé à Rome, Polybe est recueilli par Scipion Emilien, petit fils de Scipion l'Africain et arrière petit fils de Publius Scipion qui débarqua à Marseille quand Hannibal arriva au delta du Rhône. Scipion Emilien emmena Polybe à Carthage pendant la dernière guerre punique qui se termina par la destruction totale de Carthage en -146.

De retour à Rome, Polybe écrivit l'histoire des guerres entre Rome et Carthage. C'était 75 ans après le supposé passage des Alpes, 40 ans après la mort d'Hannibal, à une époque où il ne reste plus pierre sur pierre à Carthage et plus un survivant de l'armée d'Hannibal. Polybe n'a disposé que de la source romaine d'informations et, obligé des Scipion, il a colporté une histoire à la gloire des Scipion. Pour ceux-ci, il était en effet plus glorieux d'écrire qu'ils n'avaient pu arrêter Hannibal au delta du Rhône parce qu'il était passé ailleurs plutôt que d'expliquer que, beaucoup plus faibles, ils l'avaient laissé passer (en rembarquant dans leurs navires ou en s'enfonçant dans le delta du Rhône..) Cette histoire d'Hannibal traversant les Alpes tient donc du canular, mais dont Polybe n'est pas l'inventeur mais seulement le colporteur zélé.

Cette histoire d'Hannibal passant par un col des Alpes a dû circuler (pour justifier le clan Scipion) dès la seconde guerre punique, car des auteurs en ont parlé avant Polybe. Ces auteurs expliquent que la passage d'une armée par un col des Alpes est physiquementimpossible, mais qu'Hannibal y est parvenu grâce à l'aide des dieux ! Le texte de ces auteurs n'a pas subsisté (mais est-ce un hasard? L'histoire est faite par les vainqueurs!). On en a connaissance par Polybe qui écrit (Histoires livre III – 47) en parlant de ces auteurs, dont il ne cite pas le nom : « Ils nous montrent les montagnes des Alpes si inaccessibles et si rudes que non seulement elles ne sauraient être franchies aisément par des chevaux ou des armées, encore moins par des éléphants, mais pas même par de l'infanterie légère; et de la même manière, ils nous dépeignent les lieux comme un tel désert que, si un dieu ou un héros ne s'était pas présenté pour montrer la route aux gens d'Hannibal, ils se seraient égarés et auraient tous péri »

Polybe qui est zélé mais pas bête, ne croit pas à l'intervention des dieux pour aider Hannibal à franchir les Alpes. Alors il remplace les dieux par des guides gaulois, assure que des populations locales ont fourni à Hannibal les approvisionnements nécessaires même si dans le récit de Polybe, d'autres Gaulois attaquent Hannibal pendant la traversée des Alpes. C'est à l'occasion de ce récit de Polybe que l'on parle des Allobroges pour la première fois. Polybe valide le passage par les Alpes même si à l'occasion de la description de « l'île » formée par la réunion du Rhône et de l'Isère, Polybe écrit : « Elle est comparable par la grandeur et la forme à ce qui en Egypte est appelé le Delta, à cette exception près que la mer limite l'un des côtés du Delta et les bouches des fleuves, tandis que l'île est bornée par des montagnes d'un accès et d'une traversée difficiles, montagnes presque inaccessibles pour dire le mot » (histoires, livre III-49).

 

6) arguments

Selon Polybe, Hannibal est arrivé en Italie en novembre -218, puisqu'il écrit (livre III-54) au moment où Hannibal arrive au sommet (du col par lequel il est supposé être passé), : »La neige s'était déjà amassée sur les sommets, car on approchait du coucher des Pléïades. A la vue de ses soldats, découragés à la fois par leurs malheurs et les souffrances attendues, Hannibal les réunit... ». Cette référence aux « Pléïades «  (période où cette constellation se couche au lever du soleil), situe l'événement entre le 7 et le 9 novembre -218.

Hannibal ne quitta l'Italie qu'en -203. Il infligea aux Romains des défaites qui figurent parmi les plus importantes de leur histoire. Des légions entières ont été mises hors de combat, des consuls tués. Si les Scipion avaient rejoint l'Italie avec l'armée débarquée à Marseille et uni leurs forces à celles qui ne purent arrêter Hannibal ni dans la région de Milan (bataille du Tessin), ni dans la région de Plaisance (bataille de la Trébie), cela aurait changé le cours de l'histoire probablement dès la première bataille. Polybe écrit par exemple à propos de la bataille du Tessin : « Ceux qui étaient en avant s'élancèrent les uns contre les autres et laissèrent longtemps le combat indécis » (Histoires, livre III-65). Si à cette première bataille, les Romains avaient eu le renfort des 2.000 cavaliers et 10.000 fantassins qui continuèrent vers l'Espagne, la campagne d'Hannibal était probablement terminée. Polybe savait quelle main le nourrissait et le protégeait, en accréditant l'histoire du passage des Alpes, il détourna l'attention de la faute des Scipion.

Après Polybe, une multitude d'auteurs ont repris cette épopée du passage des Alpes. Tite-Live le premier reprend le récit mais 140 ans après Polybe (c'est-à-dire plus de 200 ans après le « passage »).Tite-Live, comme tous ceux qui ont écrit, arrange le récit à son goût, inventant même une histoire de roche qui bloquait le passage et qu'Hannibal fait dissoudre avec du vinaigre. Comme si en partant d'Espagne Hananibal pouvait prévoir qu'il aurait besoin de vinaigre pour dissoudre une roche !

Mais Polybe, source unique de l'histoire, se trahit au moins 2 fois :

Pour expliquer pourquoi Hannibal devait prendre Sagonte en -219, alors qu'il aurait pu contourner la ville et filer directement sur l'Italie, ce qui lui aurait permis de bénéficier de l'effet de surprise, Polybe écrit (Histoires, livre III-17) : « ...mais surtout il pourrait continuer sa marche en avant en toute sécurité; ne laissant derrière lui aucun ennemi ».

Ce qui était vrai pour Sagonte, le fut encore au nord de l'Espagne, où Hannibal prit le temps en -218 de réduire tous les alliés des Romains avant de franchir les Pyrénées. Mais alors pourquoi aurait-il laissé des ennemis derrière lui dans le delta du Rhône ? Il est quand même curieux que ceux innombrables qui se sont penchés sur l'histoire d'Hannibal ne se soient pas posé la question.

On peut aussi se demander ce que les Carthaginois savaient des Alpes au temps d'Hannibal? Probablement rien. Alors comment Hannibal pouvait-il savoir qu'en partant vers le nord il se retrouverait en Italie qui est à l'est ? Comment pouvait-il savoir qu'il trouverait l'approvisionnement nécessaire aux hommes et aux bêtes sur son chemin. Polybe a pensé à cet argument et l'a prévenu en racontant qu'Hannibal avait envoyé des émissaires aux Gaulois qui lui ont fait savoir qu'il pourrait passer à travers les Alpes. Polybe écrit en effet (Histoires livre III-34) : « Enfin, ses messagers revinrent et lui firent part du bon vouloir et de l'impatience des Gaulois; ils lui dirent que le passage des sommets des Alpes était certes particulièrement pénible et difficile, mais non impossible cependant. Il fit sortir ses troupes de leurs quartiers d'hiver... »

Mais la scène se passe à Carthagène au printemps -218. Or en admettant qu'Hannibal ait voulu combattre les Romains partout sauf dans le delta du Rhône, la remontée de la vallée du Rhône et le passage par un col des Alpes ne pouvaient s'envisager que dans le cas, et seulement dans ce cas, où les Romains allaient arriver à Marseille précisément au moment où Hannibal arrivait lui au delta du Rhône. Si les Romains étaient arrivés quelques jours plus tôt, Hannibal les aurait croisés entre le delta du Rhône et l'Espagne, dans le cas contraire c'est Hannibal qui aurait été entre le delta du Rhône et l'Italie au moment de l'arrivée des Romains à Marseille.

La probabilité d'une concomitance des 2 événements est tellement menue, qu'on voit mal Hannibal s'inquiéter du passage des Alpes depuis Carthagène, en admettant en outre qu'entre l'automne -219 et le printemps -218, ses émissaires aient eu le temps d'aller jusque dans les Alpes, de rencontrer des chefs de tributs, de s'entendre avec eux et de revenir sans encombre à Carthagène. Tout cela semble bien cousu de fil blanc. On peut aussi se demander si une armée de milliers de fantassins, de chevaux de mulets de charge, et d'éléphants pouvait traverser un col des Alpes fin octobre/début novembre. Un siècle et demi plus tard, pour pouvoir passer avec leurs armées, les Romains devront faire ouvrir des routes. La première étant celle du Mont Genèvre que Pompée fit ouvrir en -77, puis quelques années plus tard, César fera ouvrir les routes du St Bernard (le Grand et le Petit). Une majorité de chercheurs semblent faire passer Hannibal par la Maurienne (Mont Cenis ou col du Clapier), mais il est caractéristique que les Romains ne connurent pas ces cols. Alors Hannibal....

Pour se rendre compte du caractère extravagant de cette histoire, il suffit d'essayer de calculer la longueur d'un convoi de 37 éléphants de 10.000 chevaux, de milliers de mulets de charges et de fantassins, circulant en file indienne sur les sentiers des Alpes.

Pour disculper les Scipion, Polybe a colporté le plus grand canular de l'histoire. Hannibal a suivi la route de la côte tout simplement. Certains auteurs ne sont pas passés loin de s'en faire la réflexion. Ainsi, dans un ouvrage sur le parcours d'Hannibal, édité en 1966, un auteur (G. Devos) écrit : « Pourquoi Hannibal ne serait-il pas passé par Arles, Marseille et la côte méditerranéenne, ce qui était plus facile en lui évitant le franchissement d'un col. C'est l'évidence même, un tel trajet lui aurait coûté moins de peine et moins de morts » Puis aussitôt l'auteur explique qu'Hannibal ne voulait combattre les Romains qu'en Italie même. Mais il ne se demande pas pourquoi. Mommsen fait de même.

En -207, Hasdrubal, frère d'Hannibal arriva en Italie avec une armée de secours. Celle-ci fut détruite par les Romains en Italie du Nord avant d'avoir pu faire sa jonction avec l'armée d'Hannibal. Mais aucun des auteurs qui ont cherché le passage d'Hannibal ne se sont demandés par où était passée l'armée d'Hasdrubal ? Dommage. Car celle-ci à l'évidence a suivi la route de la côte !

 

7) la fin de l'histoire

Durant les premières années de sa présence en Italie, Hannibal fut vainqueur partout. Après la bataille de Cannes (près de Foggia sur la côte Adriatique) où entre les morts et les prisonniers, les Romains perdirent 70.000 soldats et le consul Paul Emile, les Romains semblaient perdus. Alors beaucoup de villes (dont Capoue) passèrent du côté des Carthaginois. Philippe V de Macédoine fit de même. Dans cette situation désespérée, les Romains firent preuve d'une énergie exemplaire; remettant sur pied 28 légions en enrôlant même les esclaves et les condamnés emprisonnés. Ils se battirent sur tous les fronts : en Espagne, en Yougoslavie, en Grèce, en Italie. Si les Romains connurent de nombreuses défaites terrestres, ils restèrent maîtres de la mer et avec les îles ils purent s'approvisionner et renouveler leurs effectifs plus facilement qu'Hannibal. Ils finirent par débarquer en Tunisie en -203 où le Sénat de Carthage rappela Hannibal qui fut vaincu par un autre Scipion à la bataille de Zama en -202 ce qui mit fin à la seconde guerre punique. Hannibal dut s'exiler au proche orient, mais les conquêtes romaines à cette époque furent si rapides qu'Hannibal n'eut bientôt plus de lieu de refuge et se suicida en -183 pour ne pas tomber aux mains des Romains.

J.D. décembre 1998, dernière mise à jour : 1 septembre 2010

Nota : sur le non passage des Alpes par Hannibal, j'ai eu l'occasion de faire une conférence le 3 décembre 1998 à Chambéry-Curial dans le cadre des conférences de la Société Savoisienne d'Histoire et d'Archéologie, ainsi que le 28 octobre 1999 à Challes-les-Eaux à la demande d'une association locale

 

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