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11 juin 2016 6 11 /06 /juin /2016 09:19

Le Mont Granier, autrefois appelé Mont Apremont, qui culmine à 1933 mètres d'altitude se trouve à l'extrémité nord du massif de la Chartreuse, à la limite de la Savoie et du département de l'Isère, en sachant qu'à l'occasion des guerres entre Savoie et Dauphiné, les limites ont parfois varié. Voir note N°74 http://jean.delisle.over-blog.com/article-les-guerres-dauphine-savoie-110715942.html

Ce Mont a défrayé la chronique récemment, par suite d'éboulements, principalement les 8 janvier et 7 mai 2016.

Voici ce que l'on peut lire sur le Mont Granier dans le « dictionnaire du Duché de Savoie » publié en 1840 et réédité en 2 volumes (2004 et 2005) par la Société Savoisienne d'Histoire et d'Archéologie (SSHA en abrégé, dont le siège est à Chambéry 244 quai de la Rize) :

« Le bouleversement de la nature que l'on observe dans ce local, parsemé de grandes masses calcaires, fut opéré par la chute d'une partie du mont Granier, dont l'échancrure en faucille correspond parfaitement aux décombres qui couvrent la plaine qui était au pied de cette montagne. Cet événement, que l'ignorance surchargea de contes ridicules et de fables, eut lieu le jour de Ste Catherine (25 novembre 1248). L'éboulement couvrit et détruisit cinq paroisses et particulièrement la ville de Saint André qui était le titre du décanat de Savoie… L'existence de cette ville (Saint André) est constatée par divers actes de notaires ou autres officiers publics qui y ont été passés avant 1248 ; ce qui prouve l'existence d'un vieux chapitre de chanoines réguliers et l'existence d'un tribunal ecclésiastique. »

Commentaires :

*L'éboulement de 1248 suscita de nombreux textes et beaucoup de controverses avec des désaccords sur la date de l'écroulement, ses causes, son mode, le nombre de villages ensevelis, le nombre de victimes…

L'étude la mieux documentée semble être celle du chanoine François Trépier (aumônier de l'hôpital militaire de Chambéry) de 1879 : « Recherches historiques sur le décanat de Savoie ». Cette étude a été reprise dans les « Mémoires de l'Académie de Savoie » en 1886. Voici la synthèse que l'on peut faire de l'événement de 1248 :

la catastrophe : C'est un peu avant minuit le 24 novembre 1248, qu'une partie importante du Mont Apremont s'écroula, ensevelissant 5 paroisses regroupant 16 villages ou hameaux. L'écroulement semble avoir recouvert un territoire de 23 km² (dimensions maximales : 8 kms sur 6). Voici le nom des paroisses avec leur population selon l'estimation faite par François Trépier : Saint André (2.000/3.000), Granier (200/1200), Saint Pérange (400/800), Cognin (100/300), Vourez (900/1200). Cela ferait une fourchette de victimes comprise entre 3600 et 6500. C'est le chiffre de 5.000 que l'on trouve le plus souvent dans des articles ou ouvrages sur cet écroulement de 1248. François Trépier s'est basé pour obtenir ces chiffres sur des montants de contributions demandées aux paroissiens lors de visites pastorales de l'évêque de Grenoble.

Cependant les spécialistes récents pensent que cela représente une densité de population trop importante et ramène le nombre de victimes entre 1.000 et 2.000.

Toujours est-il qu'en 1248, la ville de Saint André était plus importante que Chambéry. C'est après 1248 que Chambéry a succédé à Saint André comme siège du décanat de Savoie. De même le Mont Apremont a pris le nom de Mont Granier en souvenir du village disparu et le lac qui s'est formé le nom de Saint André.

Le décanat de Savoie : La région du Mont Granier appartint au peuple des Allobroges puis fut intégrée à la cité de Vienne après la conquête romaine de l'Allobrogie en -121. Sous l'empereur Dioclétien, vers l'an 290, la cité de Vienne fut divisée en 3 : Cité de Vienne, Cité de Grenoble et cité de Genève. La limite entre Grenoble et Genève passait juste au nord d'Aix-les-Bains.

Lorsque la chrétienté s'organisa, elle reprit en grande partie les découpages romains.

Un évêché fut créé à Grenoble vers l'an 380, Chambéry y fut rattaché ; un autre à Genève vers l'an 400, Annecy s'y retrouva.

Les souverains de la Maison de Savoie tentèrent d'obtenir un évêché à Chambéry mais cela ne se fit qu'en l'an 1779. L'église Saint François devint alors cathédrale. L'évêché de Chambéry prit de l'importance lorsque lui furent rattachés en avril 1966, l'évêché de Tarentaise (siège à Moutiers) créé vers l'an 420 et l'évêché de Maurienne (siège à Saint Jean de Maurienne) créé vers l'an 575.

A noter que la conversion de Genève au protestantisme obligea l'évêque de Genève à se replier sur Annecy, tout en conservant son titre d'évêque de Genève. De fait Annecy eut donc un évêque à partir de l'an 1536, c'est-à-dire 2 siècles avant Chambéry. C'est l'église Saint Pierre d'Annecy qui devint cathédrale.

Entre la création de l'évêché de Grenoble et celui de Chambéry, il y eut dans la région un « décanat » ou administration religieuse décentralisée mais qui dépendait de l'évêque de Grenoble et qui fut donc d'abord à Saint André.

Le contexte :

La dynastie Savoie avait pris naissance en Maurienne vers l'an 1032, lorsqu'un empereur germanique donna un titre de comte au Mauriennais Humbert. Sa première résidence fut au château de Charbonnières sur Aiguebelle en Maurienne puis au Bourget du Lac. C'est en février 1295 que le comte de Savoie Amédée V (quatorzième comte de Savoie) acheta le « château » de Chambéry. On ne sait pas très bien ce qu'était le château à cette époque, mais probablement peu de choses. Les souverains de Savoie y investirent et firent de Chambéry leur capitale avant de la transférer à Turin (en 1562). L'essentiel des bâtiments de l'actuel château de Chambéry datent du XIVe/XVe siècles.

On peut se demander si les comtes de Savoie auraient investi sur le bourg de Chambéry si celui-ci n'avait pas récupéré le décanat de Savoie ? Autrement dit, en s'écroulant en 1248, le Mont Granier a fait le malheur de Saint André et de sa proximité mais a peut-être fait la prospérité de Chambéry.

J.D. 11 juin 2016

Le Mont Granier, "l'échancrure" photo J.D. 10 juin 2016

Le Mont Granier, "l'échancrure" photo J.D. 10 juin 2016

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