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13 août 2013 2 13 /08 /août /2013 16:48

Sous l'Ancien Régime, la religion du souverain était la religion de la nation . C'est ainsi que la France devint officiellement une nation catholique lors du baptême de Clovis en l'an 496. Elle fut l'une des premières nations à être officiellement catholique et à le rester sans discontinuité ce qui fait que la France s'auto-proclama « la fille aînée de l'Eglise ». Pépin le Bref fut proclamé « défenseur de l'Eglise romaine » par le pape Etienne III le 28 juillet 754. Louis XIII dédia solennellement la France à la vierge Marie le 10 février 1639. Catherine de Médicis en 1562, Lacordaire le 14 février 1841 à Notre-Dame de Paris... proclamèrent la France « fille aînée de l'Eglise ». Le pape Jean-Paul II lui-même rappela aux évêques de France le 1er juin 1980 que leur pays était « la fille aînée de l'Eglise ».

Le lien entre le pouvoir et l'Eglise fut durant des siècles un atout pour celle-ci, mais lorsque le peuple contesta l'absolutisme du pouvoir royal, la Révolution fut anti-cléricale. Durant la révolution française, des églises furent détruites, des biens saisis, des communautés religieuses dissoutes, le clergé dut jurer fidélité à la constitution, ce que beaucoup refusèrent et de nombreux religieux ou religieuses en perdirent la tête (sous la guillotine!).

Pour la petite histoire citons le cas de la ville de Chartres. Les « révolutionnaires » détruisirent les églises Saint Saturnin, Saint Maurice, Saint Michel, Saint Barthélémy, Saint Chéron, Saint Brice, Saint Martin le Viandier, Saint Hilaire, tandis que Sainte Foy devint un théâtre, Saint André un magasin à fourrage... Les « révolutionnaires » voulaient aussi démolir la cathédrale, mais ils discutèrent longtemps pour savoir où évacuer la masse énorme des matériaux, assez longtemps pour qu'intervienne le concordat et qu'il ne soit plus question de démolir les églises. Sans cette circonstance, cet incomparable joyau de l'architecture et de l'art qui fut parmi les premiers monuments à être classé au patrimoine mondial de l'Unesco aurait été démoli par des citoyens auto-proclamés révolutionnaires ! Voir le livre sur Chartres de Jean Markale publié aux éditions « France Loisirs » en 1988, chapitre III.

Toujours est-il que c'est à l'occasion de la Révolution française de 1789 qu'eut lieu, en France, la première séparation de l'Eglise et de l'Etat. Cela divisa beaucoup les Français surtout dans le contexte d'une Europe encore dirigée par des souverains de « droit divin ».

Le Concordat signé le 15 juillet 1801 (Napoléon Bonaparte était premier consul et Pie VII pape) ramena la paix civile. Il affirmait que le catholicisme était « la religion prépondérante en France ». Tous les biens ecclésiastiques avaient été vendus en 1790. En contrepartie, le Concordat accorda la rémunération par l'Etat des évêques et des prêtres. Les archevêques et les évêques furent nommés par le pouvoir mais reçurent l'institution canonique du pape. Ce Concordat régla les relations entre le pouvoir et l'Eglise jusqu'en 1905 (sauf pour l'Alsace et la Lorraine où il s'applique encore). Entre temps, des chartes de 1814 (sous Louis XVIII) et de 1830 (sous Louis Philippe) réaffirmèrent que le catholicisme était la religion de la majorité des Français. Avec le retour des rois (Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe) puis le second empire de Napoléon III, la France était redevenue une nation chrétienne, mais avec la troisième République, l'anti-cléricalisme redevint à la mode. Tous les partis de gauche, la franc-maçonnerie… militèrent pour une séparation des Eglises et de l'Etat. Plusieurs événements particulièrement importants avaient défrayé la chronique à la fin du XIXe siècle et au début du XXe :

L'affaire Dreyfus : Cette « affaire » divisa profondément la France de 1894 à 1906. Le capitaine Alfred Dreyfus, alsacien de confession juive, fut accusé de trahison, fin 1894, pour avoir livré des documents à l'état-major allemand et ce alors que le pays n'avait pas encore digéré la défaite de 1870 et la perte de l'Alsace et de la Lorraine. Il fut condamné le 22 décembre 1898 à la déportation à perpétuité et déporté à l'île du diable (au large de la Guyane). Et ce malgré que le colonel Georges Picquart chef du contre-espionnage français ait établi en 1896 que le coupable n'était pas Dreyfus mais un commandant nommé Esterhàzy. L'état-major ne voulut rien entendre, Picquart fut éloigné en Tunisie et des faux furent même fabriqués pour condamner Dreyfus. C'est le 13 janvier 1898 que fut publié dans l'Aurore le célèbre « J'accuse » d'Emile Zola. Dreyfus finira par être innocenté et réintégré dans l'armée en 1906.

L'affaire des fiches : En mai 1900, le général Louis André devint ministre de la guerre dans le gouvernement Waldeck-Rousseau et le resta lorsque Emile Combes succéda à Waldeck-Rousseau en juin 1902. Il demanda au Grand-Orient de France de lui fournir des fiches sur les officiers de l'armée afin de favoriser l'avancement des officiers « républicains » au détriment des officiers « catholiques ». Mais le 28 octobre 1904, un député de Neuilly nommé Jean Guyot de Villeneuve révéla le pot-aux-roses devant les députés et lu, à l' Assemblée, un certain nombre de fiches sur lesquelles on pouvait lire à propos d'un officier : « va à la messe », d'un autre : « sa femme va à la messe chaque dimanche », d'un troisième : « ses enfants sont élevés par les prêtres » , d'un quatrième : « a un frère jésuite » etc. Cela déclencha le scandale dans l'opinion publique alors même que l'affaire Dreyfus était en cours. Cette affaire entraîna la chute du gouvernement d'Emile Combes le 24 janvier 1905.

D'autres affaires : En mars 1904, le Président de la République (Emile Loubet) s'était rendu en visite officielle à Rome ce qui avait entraîné des tensions avec le Vatican. En réplique, le 30 mai 1904, la Chambre (des députés) avait voté la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Vatican.

La loi du 1er juillet 1901 sur les associations contenait des articles relatifs aux congrégations religieuses. Celles-ci étaient soumises à une autorisation de l'Etat. 84 congrégations sur 753 se soumirent à la demande d'autorisation et de nombreuses communautés religieuses furent alors fermées, leurs membres étant expulsés sans ménagement par la force publique.

Une loi du 7 juillet 1904 interdit la fonction d'enseignement aux congrégations religieuses.

La France fut profondément divisée. De manière simpliste il y eut la gauche républicaine, dreyfusarde, souvent anti-militariste et anti-cléricale et la droite catholique (bonapartistes, monarchistes, boulangistes...) patriotique, anti-dreyfusarde, anti-sémite... Mais avec des exceptions et beaucoup de nuances.

En 1899, tous les courants de la gauche avaient réussi à se réunir dans un « bloc des gauches ». Les élections législatives qui se déroulèrent les 27 avril et 11 mai 1902 virent s'affronter le bloc des droites contre le bloc des gauches. C'est ce dernier qui l'emporta avec 338 élus contre 251 à la droite. C'est dans ce contexte que fut votée la loi de séparation des Eglises et de l'Etat.

Dès 1869, (Napoléon III était encore empereur), à l'occasion d'élections législatives, Léon Gambetta réclamait une loi de séparation dans son programme. Dans les années qui suivirent il fut imité par tous les ténors de la gauche. Mais dans ce concert il y eut à boire et à manger. Certains « bouffeurs de curés », comme Emile Combes (surnommé « le petit père Combes »), un ancien séminariste !, voulaient en faire un instrument de déchristianisation du pays. D'autres voulaient seulement normaliser les relations entre Eglises et Etat.

En juin 1903, la Chambre (des députés) nomma une commission de 33 membres chargée d'étudier les conditions dans lesquelles était possible la séparation des Eglises et de l'Etat. Aristide Briand fut nommé rapporteur de cette commission et très vite le rapport de la commission devint le rapport Briand. Avec et sans jeu de mots, Briand fut l'un des plus brillants parmi les hommes politiques français du XXe siècle. Le premier projet « Briand » fut remis aux députés le 17 mars 1905. Voici le commentaire que fait à ce sujet Georges Suarez dans sa biographie de Briand (tome II de 1938, chapitre 1) :

« Il comprenait 45 articles répartis en 6 titres. Dans un long exposé des motifs, d'une centaine de pages, le rapporteur (A. Briand) retraçait l'historique des relations de l'Eglise avec le pouvoir civil, de Clovis à Mirabeau, et de la Révolution au Ministère Combes. C'est, pensons-nous, l'étude la plus complète, la plus minutieuse qui ait jamais été faite sur le sujet. L'objet était de démontrer l'incompatibilité à travers les âges du pouvoir spirituel avec les gouvernements civils et de faire ressortir la gêne constante où étaient contraints d'évoluer leurs rapports sous un régime d'obligations mutuelles. Il mettait en évidence les bienfaits de la loi de Séparation avec un tact égal pour chacun, ne témoignait pas moins de souci pour l'existence future de l'Eglise que pour les garanties de l'Etat. Enfin, dans sa conclusion, Briand émettait le souhait que la séparation fût loyale et complète entre les Eglises et l'Etat... ».

Sur l'état d'esprit de Briand, voilà ce qu'écrit Suarez (même chapitre) :

« Témoin des plus avilissants débats qui aient jamais souillé un régime (il s'agit de tous les débats qui eurent lieu à la Chambre sur Dreyfus, l'affaire des fiches etc), Briand voyait les faits confirmer son instinctive méfiance pour l'arbitraire et les aspirations de l'esprit de parti. Jamais il n'avait eu, autant qu'au cours de ces duels mortels, la sensation du mal qu'un gouvernement peut faire, en prétendant gouverner avec une partie de la nation contre l'autre. Par ses violences maladroites, Combes avait fourni au catholicisme, le moyen de révéler sa force. Par ses bas procédés de police, il avait compromis pour longtemps les principes au nom desquels il prétendait gouverner. Par l'étroitesse de sa politique et la désarmante simplicité de ses objectifs, il avait mis en danger la défense nationale tandis que dans la pièce à côté, son ministre Delcassé édifiait patiemment un système qui ne pouvait se passer d'une armée ni d'une marine fortes. L'exemple de Combes, qu'il avait vu se dérouler de son modeste observatoire lui prouvait qu'il n'avait pas tort de penser qu'on ne dirige pas les destins d'un peuple en le divisant et qu'un gouvernement ne peut se priver pour durer, sinon de l'unanimité de la nation, du moins de la tolérance de l'opposition... »

Difficile en lisant ce texte de ne pas penser au récent débat sur le « mariage pour tous ». mais la sectaire Taubira n'arrive pas à la cheville de Briand !

Le pape s'opposa à ce projet de loi, mais en France même, une partie du clergé y compris des évêques s'y rallièrent. Il faut dire que depuis 1789, le clergé en avait vu de toutes les couleurs et cette loi leur paraissait probablement un moindre mal.

La loi fut adoptée à la Chambre des Députés le 3 juillet 1905 par 341 voix contre 233, au Sénat le 6 décembre par 181 voix contre 102 et enfin fut promulguée le 9 décembre 1905.

La loi reconnaît la liberté de conscience, interdit tous financements publics des cultes, mais l'entretien des édifices construits avant 1905 reste à la charge de l'Etat pour les cathédrales et à la charge des communes pour les églises. Aujourd'hui (13 août 2013) un article sur le journal en ligne du Point a pour titre : « une vague de démolition d'églises menace le patrimoine ». Certaines communes n'ayant plus les moyens d'entretenir les églises préfèrent les démolir, mais durant le même temps, les mosquées fleurissent dans tous les coins avec souvent des financements publics déguisés en subventions à des associations culturelles !

La loi de 1905 prévoyait la dévolution des biens de l'Eglise à des associations cultuelles, mais pour cela il fallut des inventaires. Des zélés prétendirent même ouvrir les tabernacles ce qui révolta beaucoup de paroissiens et cela faillit dégénérer en guerre civile. Voici le commentaire de Suarez sur ce sujet (même livre chapitre 2):

« Les traditions étaient restées fortes ; les sanglantes bagarres que provoquait aux abords des églises la résistance des catholiques contre les inventaires, conséquence de l'article 3 de la loi de Séparation en témoignaient vigoureusement. Depuis l'affaire Dreyfus, les catholiques avaient subi sans broncher toutes les persécutions, toutes les brimades, toutes les injures. On avait caricaturé leur foi, calomnié leurs prêtres, chassé leurs religieuses. Ils avaient été traités comme des parias dans leur propre pays. Mais en cette année 1905, leur réveil est terrible. La politique s'en mêle et jette le trouble dans les consciences. Il faut mobiliser la troupe, la gendarmerie, la police, pour venir à bout des fidèles, qui, agenouillés sur les degrés de leurs temples, n'opposent qu'une arme, la prière, aux charges des brigades centrales. Des officiers démissionnent pour ne pas tenir l'emploi qu'on leur impose. L'armée déjà ébranlée par l'Affaire Dreyfus, le scandale des fiches et la détestable gestion du général André, se désorganise un peu plus... »

Devant cette résistance , Clémenceau enverra une circulaire aux Préfets pour suspendre les inventaires partout où ils posaient problème et cela ramènera le calme.

Un siècle après ces événements on peut se demander pourquoi tous les courants qui se mobilisèrent contre le cléricalisme sont absolument muets aujourd'hui face à l'islamisation de la Société ?

J.D. 13 août 2013

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