Le vice N° 659
C’est le 21 août 2010 que j’ai mis une première note sur le blog, grâce aux conseils d’un journaliste de RCF qui m’a, ce jour là, rendu un fier service.
Ce premier article était le texte d’une conférence que j’avais faite le 26 mars 2010 à la salle des fêtes de ma commune de résidence (Saint Jean d’Arvey en Savoie) pour les 150 ans de la réunion de la Savoie et de Nice à la France. http://jean.delisle.over-blog.com/article-la-reunion-de-la-savoie-et-de-nice-a-la-france-en-1860.html
J’avais 71 ans ; j’étais depuis le début 2007 en traitement pour des cancers successifs et 4 jours avant la conférence j’avais eu une chimiothérapie à l’hôpital de Grenoble et je m’étais demandé si je tiendrais pour la conférence ? Mais j’avais tenu et dix ans plus tard et un infarctus en bonus-cadeau supplémentaire, papy Jean il est rafistolé par tous les bouts mais il tient encore (le matériel d’avant-guerre c’est solide!) et la tête est toujours bonne !
Le blog se porte pas mal avec autour de 3000 consultations par mois et un record à 7838 en juin 2020.
Pour le dixième anniversaire, j’ai pensé distraire les lecteurs avec quelques considérations sur le vice !
C’est un peu scabreux mais pas hors sujet puisque chacun peut se dire que le vice a toujours tenu une grande place dans l’histoire des sociétés humaines, surtout chez les dirigeants ; ce n’est pas que les autres soient meilleurs mais ayant moins de pouvoir, ils ont moins de possibilité ! Il est connu depuis longtemps que : « le pouvoir corrompt » et que « le pouvoir absolu corrompt absolument » !
Et voici un titre paru page 69 de l’hebdomadaire Le Point daté du 20 août 2020 : « La politique, c’est l’arène des vices, non des vertus. » ! Cela tombe comme mars en carême, même si le rédacteur aurait aussi pu écrire : « la reine des vices » !
*Commençons par nous rappeler cette assemblée populaire tenue en août de l’an 216 avant Jésus-Christ à Capoue (Capua en Campanie à 25 kms au nord de Naples, ville d’environ 18.000 habitants aujourd’hui) où les habitants condamnèrent à mort leurs dirigeants (les sénateurs) parce que « corrompus » ; puis sur le constat que tous ceux qui prendraient la place seraient aussi corrompus au bout de peu de temps, ils gracièrent ceux qu’ils venaient de condamner et les laissèrent en poste !
Quelle leçon !
Cela sort d’un texte de Tite-Live (-59/+17) dans son « Histoire romaine » au livre XXIII.
J’ai ensuite cherché des personnages pouvant représenter dignement le vice. Pour les hommes, j’ai renoncé, tellement ils sont légions à pouvoir prétendre obtenir un titre ! Le lecteur déçu pourra se reporter à : « Vies des douze Césars » de Suétone (69/126). Il pourra aussi méditer sur le personnage qui inspira Voltaire pour sa tragédie du début des années 1740 et intitulée : « Le fanatisme ». je n’en dirais pas plus !
Pour les femmes, c’est plus simple, j’ai choisi Agrippine pour la médaille d’or, Lucrèce pour l’argent et Margot pour compléter le podium. C’est naturellement arbitraire, bien d’autres femmes comme Messaline (l’impératrice qui se prostituait) ou Théodora (la prostituée qui devint impératrice) auraient pu avoir une médaille ; mais il fallait bien faire un choix.
*Agrippine la Jeune : Elle naquit le 6 novembre de l’an 15 sous le règne de Tibère. Elle fut en famille avec pratiquement tous les « Julio-Claudiens » voir tableau avec les articles 33 et 34. Ayant dans ses ancêtres : Julia la sœur de Jules César, Marc Antoine, Auguste qui fut le premier empereur, Caligula le troisième empereur fut son frère, Claude le quatrième son oncle et Néron le cinquième son fils qu’elle avait eu d’un premier mariage avec Domitius.
D’un mariage avec Messaline, Claude (empereur de 41 à 54) avait eu 2 enfants : Octavie et Britannicus. Claude fit exécuter Messaline qui avait conspiré contre lui, puis épousa sa nièce Agrippine. Après Claude, le pouvoir devait revenir à son fils Britannicus. Mais Agrippine qui avait de l’ambition pour son fils Néron lui fit épouser Octavie fille de Claude ; empoisonna Claude pendant que Néron éliminait Britannicus !
Agrippine eut le pouvoir par son fils interposé, mais lorsque Néron commença à vouloir s’affranchir de sa mère, elle s’offrit à son fils, espérant maintenir son pouvoir, mais ledit fils la fit poignarder par des soldats le 20 mars de l’an 59.
Selon les auteurs antiques (Suétone et Tacite), Agrippine eut des relations sexuelles avec son frère l’empereur Caligula, avec son oncle Claude et avec son fils. Elle fut probablement la seule femme sur terre qui aurait pu se vanter d’avoir couché avec 3 empereurs romains : beau palmarès !
*Lucrèce Borgia : Elle naquit en Italie le 18 avril 1480, fille de Vannozza Cattanei et de Rodrigue (Rodrigo) Borgia qui était alors cardinal et qui devint le pape Alexandre VI en août 1492. Il reconnut 7 enfants (dont Lucrèce) de 4 femmes différentes. Lucrèce reçut une bonne éducation puisque elle parlait latin, grec, italien, français et s’adonnait au dessin, au chant et à la musique. Elle fut mariée 3 fois : la première fois, en juin 1493 avec Giovanni Sforza seigneur de Pesaro et Gradara (villes italiennes sur l’Adriatique) et demi-frère du duc de Milan. Elle en divorça. Pour accepter le divorce, le mari exigea une compensation financière. La seconde fois en 1498 avec Alphonso d’Aragon fils du roi de Naples. Celui-ci fut assassiné par les Borgia. C’était plus expéditif et moins coûteux qu’un divorce ! La dernière fois avec Alfonso d’Este duc de Ferrare en décembre 1501. Lucrèce s’installa à Ferrare et y développa les arts. Elle mourut en couches le 24 juin 1519.
D’une grande beauté, elle fit fantasmer nombre d’auteurs qui, prenant peut-être leurs désirs pour des réalités lui prêtèrent tous les vices. Elle eut particulièrement la réputation d’avoir eu des relations sexuelles avec son père le pape et avec ses 2 frères Giovanni et César Borgia. César, jaloux de son frère le fit assassiner. Belle famille.
Cela se passait en outre dans un contexte compliqué d’affrontements entre puissances européennes pour le contrôle de l’Italie où la papauté (Alexandre VI) manigança énormément.
Victor Hugo consacra un drame en 1832 à Lucrèce Borgia.
Dans »la légende des siècles » en LIV, un poème de 740 vers s’intitule : « la vision de Dante ». Voici comment il se termine :
« Et comme je fuyais, dans la nuée ardente
Une face apparut et me cria : Mon Dante,
Prends ce pape qui fit le mal et non le bien,
Mets-le dans ton enfer, je le mets dans le mien ».
Cela aurait pu se rapporter au pape Borgia !
On trouvera en illustration un tableau de 1515 de Bartolomeo Veneto qui représente Lucrèce.
*Margot : Marguerite de Valois dite la reine Margot naquit le 14 mai 1553, fille de Catherine de Médicis et du roi de France Henri II.
Catherine de Médicis (1519/1589) nièce du pape Léon X et cousine du pape Clément VII avait épousé le 28 octobre 1533 Henri qui fut le roi de France Henri II. Dans le cadre de grandes négociations diplomatiques ; il y eut un double mariage : entre le roi d’Espagne Philippe II et Elisabeth fille d’Henri II et d’autre part entre Marguerite sœur d’Henri II avec le duc de Savoie Emmanuel-Philibert. C’est à l’occasion de ces mariages que Henri II trouva la mort lors d’un tournois.
Catherine de Médicis eut 10 enfants d’Henri II dont 3 fils qui furent rois de France successivement et Marguerite qui épousa le 18 août 1572 Henri qui était roi de Navarre sous le nom d’Henri III depuis le 9 juin. A la date de son mariage Henri était encore protestant ; son mariage attira à Paris toute la crème du protestantisme de l’époque. L’occasion parut trop belle ; ce fut la Saint Barthélemy !
Cet Henri III roi de Navarre devint le roi de France Henri IV le 2 août 1589 et la Margot, de reine de Navarre devint reine de France. Henri n’abjura le protestantisme qu’en 1593 et ne fut couronné roi de France, en la cathédrale de Chartres, que le 27 février 1594. L’annulation du mariage d’Henri et de Margot fut prononcé le 24 octobre 1599. En fait ils s’étaient déjà séparés et Margot s’était retirée en Auvergne. Elle revint à Paris en 1605 et mourut le 27 mars 1615.
Elle fit également fantasmer beaucoup d’auteurs (dont Alexandre Dumas en 1845), de réalisateurs de films qui lui firent une réputation sulfureuse de « reine lubrique issue d’une famille maudite » (les Médicis par sa mère).
J.D. 21 août 2020